Le terrorisme est un rabat-joie…
Le monde ne cesse pas d’être tragique. Et l’insouciance, sous toutes ses formes, non seulement n’est plus acceptable mais est presque perçue comme criminelle, telle une indifférence méprisant souverainement un réel mortifère. On n’a plus le droit à l’équivoque, à l’ambiguïté. Tout doit être pris au sérieux, au propre, au premier degré. Le figuré est interdit comme le second degré. La gratuité du langage et son irresponsabilité, bonheur des temps calmes, deviennent des péchés, des transgressions inadmissibles. Il faut qu’à chaque seconde on pèse ses mots, on soupèse ses pensées, on limite ses audaces, on domine ses provocations.
Sale période pour la nuance
La mort d’autrui, qui peut survenir à tout instant par l’entremise de fanatiques assassins, la barbarie en Israël, l’immonde criminalité d’Arras, le terrorisme à Bruxelles, la riposte inévitable et forcément meurtrière, malgré les précautions prises, de la démocratie israélienne, tout, absolument tout nous condamne à une indignation qui dans l’immédiat serait indécente avec des nuances, à des réactions qui pour une fois ne seront honorables et légitimes qu’en se préservant de la moindre complexité, vite qualifiée de compréhension, voire d’indulgence. D’une certaine manière les barbares qui veulent la peau de notre civilisation occidentale ont déjà remporté une première victoire capitale. Bien au-delà des dispositifs contraignants de protection et de sauvegarde, jamais parfaits, toujours perfectibles, qu’à cause d’eux, notre quotidienneté doit installer, ils ont réussi leur horrible pari : nous faire perdre la joie d’être ensemble, ce que j’appellerais la politique de la confiance. L’homme est devenu moins un loup pour l’autre qu’un suspect.
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Le rire du footballeur Jean-Clair Todibo que celui-ci déclare « nerveux » lors d’une minute de silence en hommage au professeur assassiné, est stigmatisé : il a beau protester, il est étiqueté à vie. L’innocence et la bonne foi, c’était hier ! Ce lycéen de dix-sept ans qui, sur Snapchat, s’est abandonné à menacer un professeur pour faire rire ses copains, a été interpellé et entendu. Il va sans doute comprendre qu’après l’assassinat de l’enseignant d’Arras, l’enfantillage est une honte. Je suis persuadé que cette plaisanterie saumâtre n’avait pas dépassé chez lui le niveau d’une insouciance coupable. Mais on n’a plus le droit. La gravité, le sérieux, même pour les légers, les incultes, les désinvoltes, constituent un devoir, sont mis au rang d’impératifs.
Le scandale Danièle Obono
La députée Danièle Obono, questionnée à quatre reprises par Jean-Jacques Bourdin sur Sud Radio, se résout à affirmer que les membres du Hamas sont « des résistants ». Cette absurdité, cette indécence, qui hier seraient demeurées comme l’affirmation d’une personnalité provocatrice et extrémiste, maintenant relèvent d’une offense à une atmosphère tragique dont tous doivent avoir conscience.
Quand le président de la République enjoint à l’Etat « d’être impitoyable », dans les périodes calmes (s’il en a connues), ce volontarisme verbal ne serait apparu que comme la perversion d’un esprit plus doué pour la parole que pour l’action. Aujourd’hui, ma crainte que cela reste verbeux, comme d’habitude, donne à cette posture présidentielle un tour inquiétant. Pour qui que ce soit, du citoyen modeste qui subit au pouvoir qui décide, plus rien n’est neutre, tout devient à charge. La politique n’est plus faite pour les Mélenchon plus épris du tohu-bohu qu’ils créent, que de la pertinence de leurs propos fuyant le consensuel comme la peste. Elle est pour les prudents, les précautionneux, les lucides sachant qu’il y a un temps pour l’indignation absolue et un temps pour les nuances. Le terrorisme est un rabat-joie. Il ne nous laisse pas le choix. Il faut en passer par là pour le vaincre. Le prendre tout le temps au tragique, notre première obligation.