Camarades Juges !
C’est un honneur pour moi de pouvoir vous appeler ainsi. Le mot « camarade » est chargé de tant d’émotions… Je sais évidemment que moi, je suis devenu indigne de cette appellation. Camarades Juges ! J’ai l’intention de plaider coupable. Non pas dans l’espoir que mes aveux sincères me vaudront votre indulgence. Bien au contraire, j’aspire à un châtiment des plus sévères qui fera connaître au peuple ce qu’il en coûte de s’attaquer aux féministes qui sont l’avant-garde lumineuse du prolétariat.
Camarades Juges ! On ne dénoncera jamais assez les basses et sournoises manœuvres de la bourgeoisie pour attirer dans ses rets des êtres faibles dont l’âme n’a pas été trempée par l’enseignement du combat révolutionnaire. C’est ainsi que je me suis laissé enrôler dans Causeur, une organisation au service du grand capital. Ces monstres ont réussi à séduire l’intellectuel petit bourgeois que je suis avec un slogan : « surtout si vous n’êtes pas d’accord ».
J’ai cru – ma naïveté fut criminelle – qu’il s’agissait de ne pas être d’accord avec les requins de la finance, les vautours des banques cosmopolites et les suceurs de sang du peuple. Quand j’ai compris ma funeste erreur, il était trop tard : j’étais contaminé. C’est ainsi que j’ai prêté la main à un affreux complot contre les féministes dont je reconnais maintenant la grandeur. Elles, et elles seules, ont eu la lucidité de montrer l’oppression des femmes sous le règne de la bourgeoisie masculine et sexiste. Et pour tout vous dire, camarades Juges, j’ai cédé au charme vénéneux d’un livre que je gardais clandestinement chez moi : Français, encore un effort si vous voulez être républicains.
Son auteur, le marquis de Sade (un aristocrate, camarades Juges !), voulait transformer les femmes en esclaves vouées à la lubricité des riches et des bourgeois. Je m’en suis hélas inspiré. De cela je dois et je veux répondre devant vous. Mais je tiens toutefois à me dissocier des répugnantes élucubrations d’une hyène dactylographique nommée Elisabeth Levy. Pareillement, je ne saurais cautionner les propos immondes et pervers d’une Eugénie Bastié ou d’une Paulina Dalmayer. Méritent-elles seulement le nom de femme, ces erreurs de la nature, ces vipères lubriques ?
Je tiens à dire aussi, camarades Juges, que dès que j’ai su que votre tribunal, juste car impitoyable, allait instruire mon procès, j’ai allumé un feu dans ma cheminée. J’y ai jeté le livre abominable du marquis de Sade et aussi, prenant enfin conscience de mon abjection, Les Onze Mille Verges d’Apollinaire, Histoire d’O de Pauline Réage, Le Con d’Irène d’Aragon et Le Décaméron de Boccace.
Non, camarades Juges, je ne dis pas cela dans le but de vous inciter à la clémence. Non, plus votre peine sera sévère, plus je me sentirai lavé du mal qui a pénétré en moi. Je tiens aussi à dire ici ma reconnaissance à ceux qui, les premiers, ont débusqué mes vilénies. Tout d’abord, le camarade Les Inrocks dont chaque mot exhale la saveur d’un macaron de chez Hermé trempé dans un thé de chez Mariage Frères. Oui, ils ont tout de suite vu l’insulte faite au peuple féminin.
Le camarade Les Inrocks a été non seulement lucide mais aussi courageux. Un jour, il a pris sur lui de faire connaître un noble texte de la camarade Virginie Despentes. Celle-ci, bravant les menaces des capitalistes, a fait l’éloge de deux combattants de la liberté, les frères Kouachi : « Ils ont préféré mourir debout, plutôt que de vivre à genoux. » Le camarade Acrimed, lui aussi, a flairé très vite le danger. Et a dénoncé l’entreprise criminelle de la firme Levy & Co. Jamais le camarade Acrimed n’a cessé de dénoncer l’abominable pouvoir de la bourgeoisie, l’oppression des plus faibles (les femmes) et les reptiliens procédés des sionistes. Grâce leur soit rendue à tous les deux.
Sans eux, camarades Juges, je ne serais pas devant vous. Sans eux, je vivrais encore sous l’emprise délétère des livres que j’ai jetés au feu. Oui, camarades Juges, je me sens enfin libéré : les voix de la rédemption ne devraient pas m’être interdites. Oui, camarades Juges, condamnez-moi. Mais laissez-moi la possibilité de redevenir le révolutionnaire que je n’aurais jamais dû cesser d’être. Et dans un camp de redressement de votre choix, pour la durée que vous déciderez, j’écrirai « La terreur masculine ».
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