Le dernier film de Terrence Malick, Une vie cachée, est-il trop austère pour une époque dépourvue de spiritualité ?
Le dernier film que j’ai vu en cette fin d’année est Une vie cachée de Terrence Malick, primé au festival de Cannes à juste titre. Un paysan autrichien refuse de prêter serment à Hitler. Il sera décapité. Il est un prophète du Bien dans le pays du Mal vivant dans une nature majestueuse et indifférente au sort des humains.
Impossible de ne pas penser au chef d’œuvre de Carl Dreyer Ordet (1955), un des plus beaux films de l’histoire du cinéma qui, comme celui de Terrence Malick, touche à l’indicible dans le combat contre les forces des ténèbres. L’un comme l’autre sont des films religieux, d’une intense spiritualité et ne laissant aucun espoir au commun des mortels, sinon celui d’être damnés. Kierkegaard n’est pas loin.
Franz, le paysan autrichien, père de trois petites filles et follement amoureux de sa femme, pourrait signer un pacte avec l’antéchrist : cela ne l’engagerait à rien. Même les fonctionnaires du régime nazi, très embarrassés, le lui répètent, craignant en outre son jugement moral. Il sauverait ainsi sa famille et, après les humiliations subies dans la prison de Salzbourg, pourrait témoigner contre l’horreur de ce régime. Personne ne comprend son obstination. Lui-même sait qu’elle est vaine et n’aura aucun effet sur le cours de l’Histoire. La vie reprendra comme avant dans son modeste village du Salzkammergut une fois l’ouragan passé. Mais cela lui importe peu. Il ne s’oppose à rien. Il ne juge personne. Il n’est pas un résistant. Il suit ce que lui dicte sa conscience, sans faillir. Son refus est de l’ordre de l’indicible.
On lui reproche son orgueil – pour qui se prend-il ce pauvre Franz ? – alors que, humble parmi les humbles, il refuse de céder aux injonctions amicales du curé du village, de son avocat commis d’office qui risque sa carrière en cas d’échec, et même du président de la Cour Martiale troublé par son attitude, mais plutôt bienveillant, comme l’était sans doute Ponce-Pilate. Dira-t-on que c’est un Juste ? Sans hésitation. Kierkegaard aurait aimé ce film, un peu trop austère pour un public en quête de divertissements : la salle où j’ai vu Une vie cachée était vide. Et l’âme, un mot vide de sens.
Une vie cachée, un film de Terrence Malick, en salle depuis le 11 décembre.
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