La Balade sauvage (1973) narrait la cavale romantique d’un couple meurtrier entre Colorado et Nebraska. Les Moissons du ciel (1978) dessinait des chassés-croisés amoureux dans une grande ferme du Texas. La Ligne rouge (1998) déchaînait un maelström de perceptions durant la bataille de Guadalcanal. Le Nouveau monde (2005) peignait les confrontations entre Algonquins et colons anglais du XVIIe siècle. The Tree of life (2011), dernier film de Terrence Malick, Palme d’or 2011 à Cannes, explore les questionnements et les souvenirs d’un homme à l’anniversaire de la mort de son frère.
Contrairement à une idée répandue, Terrence Malick ne fait pas dans la veine panthéiste mièvre, quelque part entre extrapolations de Rousseau et une relecture de Thoreau. C’est pourtant ce que la critique paresseuse retient trop souvent de sa filmographie, en la réduisant à une espèce de lyrisme pompeux pour fans acquis d’avance.
Un certain regard loin du syncrétisme cool
Regarder par soi-même : voilà plutôt le credo de Malick. Il ne donne à voir le monde qu’à travers les yeux de ses personnages. Un monde tantôt accueillant, tantôt menaçant, étroit ou exalté, obscène ou grandiose. Malick se situe en fait aux antipodes des philosophies unifiantes qui cherchent une exaltante mais facile similitude entre tous lieux et créatures. Regarder par soi-même, pour Malick, ce n’est pas simplement opposer l’état de nature à la société, la guerre à la concorde, l’amour au mal. Malick ne joue jamais contre. Au contraire, il donne à voir la pluralité du monde au sein des nombreux couples d’oppositions qu’il agence.
L’extrême douleur et l’extrême beauté naissent de sa peinture des contradictions, sans manichéisme (Malick n’est pas Spielberg) ni jugement moral (il n’est pas davantage Kubrick). Loin du syncrétisme cool du new-age hollywoodien, Malick nous plonge dans la recension éperdue et obsessionnelle des atours du monde.
Son œuvre arpente ainsi l’empire des signes avec un émerveillement jamais tari. Les questions qu’elle pose restent insolubles et leur répétition, portée par les multiples voix off narratives de ses films, en devient douloureuse. Est-il possible qu’ensemble, ces signes fassent sens ? L’un se cache-t-il derrière le multiple ? Quelle serait la nature du principe qui permet tout et son contraire, qui donne et reprend sans cesse ?
La symphonie picturale de Malick
Malick apporte des éléments de réponse en tentant de lier picturalement et musicalement des univers contradictoires. Il confronte différents régimes d’images, par exemple le mythe et l’histoire avec le héros de La Balade sauvage, qui reprend les postures du James Dean de Géant. Mais aussi le documentaire et la fiction dans la minutieuse description technique du monde agricole des Moissons du ciel et de la tragédie humaine qui s’y déroule. Et enfin, dans le magnifique Tree of life, apparaissent les dinosaures numériques et le reportage animalier, les planètes en toile peinte et les intérieurs en lumière naturelle, la pyrotechnie des effets spéciaux et les volcans véritables, l’esthétique du flux et la rigueur du découpage. Malick est, en somme, le cinéaste du multivers selon Powys qui affirmait, dans Obstinate Cymric : « Quand bien même la science et les mathématiques, non moins que la métaphysique et la théologie, s’accordent pour reconnaître que l’univers est ; quand bien même ces dernières tirent la conséquence logique de cette unicité et soutiennent qu’il existe, derrière cette unicité et l’incluant tout entière, un Être universel qui est l’Absolu ne voit pas pourquoi il ne persisterait pas dans son habitude de penser et d’éprouver par tous ses sens un multivers pluraliste aux horizons infinis. »
C’est bien par cette alliance entre multiplicité des formes et nostalgie de leur réconciliation que Terrence Malick demeure notre plus grand cinéaste en activité.
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