Accueil Culture Ténèbres du cœur

Ténèbres du cœur


Ça part de rien, souvent. Il n’aurait pas dû rapter en douce le smartphone de Charlotte. Quand on a 50 ans, qu’on est deux fois divorcé et qu’on a deux grands enfants, on ne fait pas ces choses-là. Charlotte lui avait dit qu’elle était à Londres pour assister à une vente chez Sotheby’s. Les messages, que le narrateur de Mufle fait défiler, livrent une autre vérité : « Thank you my darling for the most wonderful week-end of my life. »

Il y croyait, pourtant, de nouveau : à la vie sublime, à la beauté. L’amour n’était pas qu’un chien de l’enfer. Partout, il avait envie de crier : « Hé, les gars, vous avez vu ? Cette blonde est avec moi. » Quelques mots chapardés ont balayé le temps retrouvé. Beaucoup d’eau froide sur le soleil des saisons. L’enfer recommence avec elle.[access capability= »lire_inedits »]

C’était donc ça, Charlotte. Une blonde comme les autres, sans scrupules. De longues jambes sublimes qui mentent quand elles s’enroulent. Des battements de cœur sous une vieille peau passée aux UV. Il avait été prévenu : « Charlotte ? Celle-là, elle te jettera comme ça, pschitt… »
Et puis non, ce n’était pas que ça. D’ailleurs, même l’envie de la tuer se fait la malle. Il couche encore avec elle, le temps de fixer ses souvenirs : « Je t’ai aimée, Charlotte. Est-ce que tu te rendras compte de ça ? Est-ce que ça te servira à quelque chose ? »

Oui, il avait aimé son art de brosser ses cheveux, son sale caractère, sa ressemblance avec sa première femme et avec Sydne Rome dans Quoi ? de Polanski, son corps bronzé s’extirpant des draps, son appartement sous les toits de Paris, son maillot de bain marron sur les plages d’Espagne, l’amour avec elle, l’alcool avec elle, le souvenir de leurs premiers baisers et la regarder lire Jane Austen.
Il ne lui restait plus, désormais, qu’à voyager en solitaire, draguer des jeunes filles sans intérêt, écouter les Rolling Stones en boucle et racheter ce DVD des Noces rebelles, d’après Richard Yates, qu’elle ne lui avait pas rendu.

Sur l’amour, sur la beauté et la mélancolie des passions fanées, Neuhoff dit tout dans Mufle, un texte pointu comme une lame qui fouille les plaies. Il cite Roda-Gil chanté par Julien Clerc − « Souffrir par toi n’est pas souffrir » − et Françoise Sagan – « On ne sait jamais ce que le passé vous réserve. » Au moins les conversations du temps des copains et des verres qui permettent l’oubli, à Amsterdam ou à Berlin.

Dans ses précédents romans, Un Bien fou et Pension alimentaire, Neuhoff, déjà, célébrait des femmes et, d’un même trait, les hachait menues. Il récidive avec Mufle. L’élégance française tient dans ces mots blessés d’un écrivain qui sait que pour ne pas mourir tout de suite, il faut parfois en être un, de mufle.[/access]

Acheter ce numéro  /  Souscrire à l’offre Découverte (ce n° + les 2 suivants)  /  S’abonner à Causeur

Éric Neuhoff, Mufle, Albin Michel, 2012.

Janvier 2012 . N°43

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Social, aristocratique et sensuel
Article suivant Les chiens de garde aboient, la caravane passe
Arnaud Le Guern est est né en 1976. Ecrivain, il vient de faire paraître Du soufre au coeur (Editions Alphée)

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération