Si on parle régulièrement de la remise en question par des élèves des théories de Darwin en cours de Sciences et Vie de la Terre, ou du refus de certaines élèves d’aller à la piscine en cours d’Éducation Physique et Sportive, on oublie de mentionner que certains cours d’histoire et de géographie deviennent aujourd’hui des lieux d’affrontement et de concurrence mémoriels qui témoignent du refus de partager une histoire commune.
Les remises en question toujours plus fréquentes du contenu des cours d’histoire et de géographie révèlent trois faiblesses de notre système éducatif. Tout d’abord, la remise en cause de l’autorité du professeur, au sens d’auctoritas, c’est-à-dire de sa légitimité intellectuelle, et donc du respect qui en découle. Ensuite, l’incapacité des programmes à apporter des bases et repères spatiaux et temporels solides à tous nos élèves, faisant ainsi le lit de l’ignorance sur laquelle prospèrent cancel culture et théories du complot. Enfin et encore, l’incapacité des programmes à faire rêver nos élèves, en particulier ceux d’entre eux qui viennent d’ailleurs, à leur faire aimer la France grâce à la transmission d’un récit national capable de concurrencer le mythe du pays d’origine.
Des frises et des cartes: retour aux fondamentaux
Au cours des siècles, l’histoire et la géographie enseignées ont toujours répondu à différents projets politiques, spirituels et civiques. C’est au XIXème siècle, et en particulier après les lois Ferry sur l’école, que les « hussards noirs », sanglés dans leur « uniforme civique », selon le mot de Charles Péguy, ont fait, grâce aux leçons d’histoire et de géographie, des petits Français de jeunes patriotes désormais attachés à la République. La leçon d’histoire est dès lors centrée sur la chronologie, c’est-à-dire sur « la discipline qui permet la connaissance de la mesure du temps.[1] »
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C’est ce rapport central à la chronologie, marque du temps long de l’histoire, offrant les bornes des ruptures et des continuités, qui manque aujourd’hui à nos programmes scolaires. En apparence, la chronologie semble pourtant bien respectée par les programmes au collège puis au lycée. Pourtant, elle n’est en réalité qu’un cadre dans lequel on propose aux élèves des « thématiques » trop précises si l’on ne maîtrise pas les bases de la période étudiée. On aboutit ainsi à une succession de thématiques décousues, théoriquement intéressantes, bien sûr, mais nécessitant une culture historique préalable que n’ont pas encore nos élèves. Ainsi, en classe de 4ème, l’histoire politique du XIXèmesiècle n’est que l’occasion d’aborder l’évolution du droit de vote en France, sujet passionnant en soi, mais bien trop précis et difficile à comprendre si la succession des grands régimes politiques du XIXème n’est pas maîtrisée.
Il en va de même au primaire : la chronologie claire et simple à comprendre est dissoute dans de grandes thématiques transversales («l’habitat au cours du temps»…) qui ne permettent pas aux jeunes élèves d’acquérir les bases de leur histoire. La géographie est noyée dans un bric-à-brac mondialiste à prétention écolo. Dans les programmes, plus rien n’est structuré ni hiérarchisé, donc plus rien n’est structurant pour les jeunes élèves du primaire.
En géographie, justement, les programmes au collège font la part belle à une « dimension mondiale » qui s’éloigne d’une connaissance approfondie de notre pays, de ses fleuves, de ses forêts, de ses rivages, de ses paysages. Ainsi, en classe de 4ème, le programme de géographie ne traite jamais de la France en tant que telle mais propose des thématiques autour des « mobilités transnationales », de l’adaptation au « changement climatique global », de la « mondialisation des territoires ». Une nouvelle fois, l’intérêt de ces thèmes n’est pas en cause. Mais peut-être faut-il connaître – aussi – la géographie de son pays. Si la France est traitée, c’est surtout pour vanter, comme en 3ème, son insertion réussie dans l’Union Européenne, présentée comme une panacée. Signe caractéristique de cette évolution, les mots « pays », « nations » disparaissent quasiment des programmes et des manuels de géographie au profit de vagues « territoires » sans limites ni frontières…
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Enfin, autre dérive dans les programmes, le biais idéologique, marqué très à gauche, évidemment. En classe de 4ème, par exemple, au sujet des traites négrières, les manuels se focalisent toujours sur la traite occidentale en oubliant la traite musulmane et les traites intra-africaines, pourtant bien plus longues. De la même façon, le sujet de la colonisation est toujours abordé comme un phénomène purement occidental, et dont les conséquences sur les peuples et territoires colonisés seraient nécessairement et exclusivement négatives. Par idéologie « politiquement correcte », on abandonne donc progressivement l’étude des fondamentaux du récit national, pour une histoire parcellaire, marquée par des considérations anachroniques. Tous les étudiants en histoire un peu sérieux savent pourtant que l’on ne s’autoproclame pas juge de faits qui remontent à plusieurs siècles, accomplis par des hommes aux mentalités différentes.
Un retour aux fondamentaux dans ces deux disciplines semble donc nécessaire : les élèves n’ont pas à subir les lubies idéologiques des uns ou des autres. Pour que notre matière ne soit ni rébarbative ni totalement désincarnée, l’étude des grands personnages de notre histoire et de la géographie de nos paysages semble indispensable. En effet, ce dernier est aussi destiné à donner des exemples à des élèves en pleine construction, cherchant sans cesse repères, références et modèles à imiter. Ne pas le faire, c’est laisser d’autres que l’éducation nationale s’en charger.
Ainsi, avec la transmission des connaissances, l’enseignement en histoire et géographie a une autre mission : fabriquer des Français. Par la connaissance du récit national, chaque jeune Français doit pouvoir en effet recevoir l’héritage culturel commun, prérequis indispensable au rétablissement de la cohésion nationale si mise à mal aujourd’hui dans notre pays.
Un récit national pour « fabriquer des Français »
Héritage de l’Antiquité classique, méthode et discipline permettant de construire et de transmettre la mémoire des âges, l’histoire dépasse son objet d’étude en jouant un rôle civique de « fabrication » du citoyen, d’élaboration du lien commun national.
Les Français ne s’y trompent pas : pour 91% d’entre eux, l’histoire est considérée comme « nécessaire pour comprendre les fondements et les racines culturelles des sociétés (racines religieuses, sociales, identitaires) » et permet, pour 76% d’entre eux, de « devenir un meilleur citoyen. [2] »
En effet, la nation est une « large communauté dont les membres ne se connaissent pas les uns les autres et partagent pourtant les mêmes souvenirs et les mêmes sentiments sur leur groupe [3]. » Qui, sinon l’école, peut réaliser les conditions de cette fraternité commune entre les jeunes citoyens ? Qui, sinon l’école, peut assimiler les « Français de branche » venus rejoindre, au fil des ans, les « Français de souche » ? L’enseignement de l’histoire et de la géographie contribue, par la transmission du legs commun, à la création de la communauté nationale, à l’affermissement des liens qui la maintiennent. C’est bien le récit national qui permet l’identification à une identité partagée. Ce récit permet, à terme, l’unité des citoyens, au-delà des différences politiques, ethniques, religieuses, sociales… « Toute identité nationale » écrit Fernand Braudel, « implique, forcément, une certaine unité nationale, elle en est comme le reflet, la transposition, la condition [4].» Braudel observe avec beaucoup de justesse qu’« une nation ne peut être qu’au prix de se chercher elle-même sans fin […], conséquemment de se reconnaître au vu d’images, de marques, de mots de passe connus des initiés […], de croyances, de discours, vaste inconscient sans rivages, obscures confluences, idéologies, mythes…[5] »
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Or, ce rôle pourtant essentiel du récit historique – et géographique – dans la « fabrique des Français » est purement et simplement abandonné par l’État, au nom d’une sotte repentance et d’une ouverture sans fin aux « diversités », simple prête-nom des communautarismes séparatistes. Pire, il est parfois nié. Au lieu de rassembler les jeunes Français autour d’un passé et d’un avenir commun, on glorifie ceux qui détruisent la nation et violent la loi, tel le sinistre Cédric Herrou, auxiliaire des mafieux trafiquants d’êtres humains, encensé dans les pages « instruction civique » du cahier d’exercices Hatier destiné aux élèves de 3ème. Les leçons d’instruction civique, défigurant ainsi leur vocation première, assènent aux élèves une lourde propagande. Le « politiquement correct » règne en maître pour créer ex nihilo des « citoyens du monde » désincarnés, en lieu et place de Français enracinés constituant le corps civique de la démocratie.
La conscience de l’appartenance à la nation recule alors dans la jeunesse, de même que la connaissance de l’héritage reçu indivis. Sont-ce là les objectifs de l’école ? Dans le rapport déjà cité du Haut Conseil à l’Intégration de janvier 2011 [6], on peut lire que « la vision du monde qui semble s’opérer [au sein de l’école] est binaire : d’un côté, les opprimés, victimes de l’impérialisme des Occidentaux, et ce, depuis les temps les plus reculés, et de l’autre, les oppresseurs – Européens et Américains blancs – pilleurs des pays du tiers-monde. Cette vision fantasmée sert d’explication à l’histoire du monde et de justification aux échecs personnels. »
Sortir de nos écueils mortifères
La puissance publique devrait méditer Albert Camus qui, dès 1958, affirme qu’« [une nation] ne doit pas oublier les raisons qu’elle peut avoir de s’estimer elle-même. Il est dangereux de lui demander de s’avouer seule coupable et de la vouer à une pénitence perpétuelle. » Jean-Pierre Chevènement rappelait également, en 2016, que : « tout peuple, pour exercer sa souveraineté, doit avoir conscience de lui-même et par conséquent de son histoire. À cette condition seulement, le peuple existe comme demos, c’est-à-dire comme corpus de citoyens capables de définir ensemble un intérêt général. C’est pourquoi le récit national est une part importante et même décisive de la conscience civique. » [7]
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Pour sortir de ces écueils mortifères, les professeurs d’histoire et de géographie doivent retrouver le rôle qui est le leur : faire comprendre et aimer la France, créer les conditions morales du civisme et de l’appartenance à la nation, afin que tous nos élèves reçoivent notre pays et sa culture en héritage, et que ceux qui sont d’origine étrangère puissent affirmer, comme Romain Gary : « je n’ai pas une goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines ».
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[1] Selon la définition d’Alfred Cordoliani, L’histoire et ses méthodes.
[2] Enquête Harris Interactive pour Historia, « Les Français et l’histoire ». Échantillon de 2 996 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Enquête réalisée en février 2019.
[3] Selon la définition de l’historien Benedict Anderson.
[4] Fernand Braudel, L’identité de la France, Espace et Histoire.
[5] Fernand Braudel, ibid.
[6] « Les défis de l’intégration à l’école », 28/01/2011, La Documentation française.
[7] Préface du Nouveau manuel d’histoire pour cycle 4, aux éditions de La Martinière, 2016.
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