L’année universitaire touche à sa fin, et le nombre d’incidents teintés d’antisémitisme sur les campus pourrait se réduire aux États-Unis. Toutefois, les militants les plus radicaux entendent à présent peser de tout leur poids dans l’élection présidentielle à venir.
Le mouvement anti-israélien qui a déferlé sur de nombreuses universités américaines au cours des dernières semaines a commencé à s’estomper avec l’arrivée des cérémonies de remise des diplômes. Celles-ci ont été néanmoins souvent perturbées. Des étudiants, dans plusieurs universités, sont venus chercher leur diplôme en brandissant un drapeau palestinien, d’autres l’ont déchiré sitôt reçu. La Duke University, en Caroline du Nord, avait invité l’humoriste Jerry Seinfeld à s’adresser aux étudiants, et lorsqu’il a commencé à parler, quelques dizaines d’entre eux se sont levés et ont quitté leur siège: Jerry Seinfeld n’a pas parlé du Proche-Orient, mais il est juif, et ce simple fait a semblé insupportable à ceux qui sont partis, et le mouvement, de fait, n’a pas été seulement anti-israélien: il a été aussi, très souvent, antisémite. Des étudiants et des professeurs juifs n’ont plus eu la possibilité de se rendre à l’université où ils étudiaient ou enseignaient sans être insultés, harcelés, parfois agressés. Le mouvement n’a pas été non plus “pro-palestinien”, comme cela s’est écrit ici ou là. Il a été éxplicitement pro-Hamas, et les slogans qui l’ont accompagné n’ont, sur ce point, pas laissé place au doute. L’expression “du fleuve à la mer, la Palestine sera libre”, qui est un appel explicite à la destruction d’Israël a été sur des centaines de banderoles. Des participants ont crié “nous voulons dix, cent, mille 7 octobre”, ce qui constitue un appel à un massacre génocidaire anti-juif de grande ampleur. Des panneaux brandis ont même porté les mots “solution finale”. Les keffiehs ont été omniprésents, tout comme les drapeaux palestiniens, et des drapeaux noirs du Hamas ont été brandis.
Un inquiétant tableau
Ce mouvement n’a pas été surprenant. Il s’est situé dans la continuation des manifestations qui ont marqué les campus des mêmes universités dans les jours et les semaines qui ont suivi l’atroce massacre du 7 octobre 2023. Et à l’époque, les slogans, les cris, les banderoles et les panneaux avaient, peu ou prou, été identiques.
Ce mouvement ne se limite pas aux universités. Il a un impact sur toute la société américaine. Des manifestations parfois violentes avaient envahi en octobre-novembre 2023 les rues des grandes villes du pays, et avaient été porteuses d’une haine d’Israël et d’un soutien au Hamas identiques à ceux qu’on a trouvés récemment dans les universités.
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Et il faut regarder la réalité en face: les universités américaines, à de rares exceptions près, ne sont plus ce qu’elles étaient. Elles ne sont plus même ce qu’elles étaient à l’époque de la contre-culture et de la contestation de la guerre du Vietnam. Si des secteurs tels ceux des sciences exactes y sont encore intacts, d’autres, ceux des sciences humaines et celui de l’histoire ne le sont plus du tout, n’assurent plus la transmission des connaissances, et jouent surtout un rôle d’endoctrinement radical. Des professeurs gauchistes y inculquent une haine des Etats-Unis et de la civilisation occidentale, au sein de laquelle la haine d’Israël, et le soutien au terrorisme islamique ont toute leur place.
Il y a, derrière cela, une stratégie. Au tout début des années 1960, des intellectuels américains imprégnés d’idées marxistes, dont le chef de file était le sociologue marxiste C. Wright Mills, ont constitué ce qui s’est appelé à l’époque la “nouvelle gauche”. Ils ont repris à leur compte les idées du communiste italien Antonio Gramsci, et ont fait leur l’expression du gauchiste allemand Rudi Dutschke. Ils ont enclenché une “longue marche au travers des institutions” aux fins de subvertir et détruire l’ordre établi. Ils ont considéré, à juste titre, que les universités étaient des lieux cruciaux, puisqu’on y forme l’essentiel des personnes structurant une société: les enseignants des lycées et collèges, les juristes, les historiens, les économistes, les journalistes, les entrepreneurs, et les dirigeants politiques. Ils ont pensé qu’en tenant des secteurs universitaires cruciaux, ils obtiendraient la dissémination de leurs idées, et l’effet de cette dissémination. Ils sont largement parvenus à leurs fins. Ils ont rapidement considéré que l’islam radical était un vecteur d’hostilité envers le monde occidental, utile pour leur action de destruction, et ils se sont ouverts à lui. La “cause palestinienne” est vite devenue pour eux et leurs continuateurs une cause sacrée. Israël a été défini par eux, en ce cadre, comme un pays aussi détestable que les Etats-Unis: une “colonie impérialiste occidentale” que le monde musulman doit effacer de la carte du monde. Leur combat contre Israël et leur soutien à ce qu’ils appellent la “résistance anti-sioniste” fait, à leurs yeux, partie intégrante de leur combat “anti-impérialiste” et “anti-occidental”.
Le résultat est là, très inquiétant. Et s’il y a eu, au cours des récentes décennies, d’autres mouvements imprégnés de haine anti-israélienne aux États-Unis, ils n’ont pas été aussi virulents. Le soutien au terrorisme islamique le plus cruel et le plus barbare n’a jamais été aussi visible, le soutien explicite aux attentats non plus. Le soutien à un massacre anti-juif de grande ampleur aurait été, il y a quelques années encore, strictement impensable.
Le parti démocrate divisé sur la question du Proche-Orient
Le mouvement anti-israélien en cours ne va pas disparaitre avec l’été qui vient. Les conventions désignant les candidats à la présidence auront lieu prochainement, et on doit s’attendre à ce que des manifestations, voire des émeutes, les accompagnent. Ce sera sans doute le cas à Milwaukee, dans le Wisconsin, où la convention républicaine se tiendra à la mi-juillet: Donald Trump, ennemi détesté de toute la gauche américaine, sera désigné candidat, et la détestation de Trump sera au rendez-vous à proximité de la convention. Ce sera le cas bien plus encore à Chicago, où se tiendra au mois d’août la convention démocrate: Joe Biden sera, à son tour, désigné candidat, mais cela n’ira pas sans troubles: il y a maintenant au sein du parti démocrate une faction radicalement anti-israélienne et pro-Hamas qui entend peser et faire entendre sa voix. Et ses chefs de file, Ilhan Omar, Rashida Tlaib, Jamaal Bowman, Alexandria Ocasio-Cortez, ne resteront pas silencieux. Ceux qui ont occupé les campus universitaires viendront s’exprimer pour que Joe Biden accentue ses pressions sur Israël. Les critiques acerbes qu’il a énoncées concernant l’action de l’armée israélienne a Gaza, et la récente suspension des livraisons d’armes à Israël, ne leur suffisent pas. Ils veulent beaucoup plus. Ils savent que Joe Biden a besoin de leurs voix, et de celles de l’électorat musulman du Michigan pour espérer gagner le 5 novembre.
Quand bien même le mouvement anti-israélien en cours est minoritaire, il repose sur une minorité très agissante et sur des organisations d’extrême gauche disposant de moyens financiers importants (Students for Justice in Palestine, Jewish Voices for Peace), et entraine derrière lui des millions de gens sous influence. Et le nombre de ces gens grandit, et pourrait grandir encore.
Le soutien à Israël aux États-Unis était bipartisan voici deux décennies encore, il ne l’est plus. Les sondages montrent que si les électeurs républicains et indépendants soutiennent toujours très nettement Israël, les électeurs démocrates sont désormais une majorité à être très hostiles à Israël (un récent sondage a montré qu’ils sont aujourd’hui 39% à soutenir la “cause palestinienne” et 35% seulement à soutenir Israël).
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Les élections présidentielles américaines ne se jouent en général pas sur des questions de politique étrangère, et l’élection du 5 novembre 2024 ne fera pas exception à la règle. Elle n’en aura pas moins un impact en matière de politique étrangère, et son impact sera très net pour ce qui concerne Israël et le Proche-Orient.
La réélection de Joe Biden signifierait que le soutien américain à Israël, dans les années à venir, fléchirait encore, et qu’Israël devrait compter surtout sur ses propres forces.
Un parallèle a été fait dans les médias francais entre ce qui se passe aux Etats-Unis et ce qui se passe en Europe, et ce parallèle existe. Le mouvement anti-israélien qui affecte les campus americains fait partie depuis longtemps du combat “anti-impérialiste” et “anti-occidental” mené par l’extrême gauche européenne, qui voit en Israël la quintessence de l’impérialisme occidental et qui s’est faite l’alliée, depuis longtemps là encore, de la vision islamiste du monde. Ce qui s’est passé à Malmö lors du concours Eurovision de la chanson en raison de la participation au concours d’Eden Golan, une jeune chanteuse israélienne, a été sordide, honteux, incontestablement antisémite, et, dans ce contexte, effroyablement logique. La couverture du magazine britannique The Economist montrait, voici quelques semaines, un drapeau israélien dans la tempête, et l’illustration accompagnait un titre: Israel alone. Israël est seul. Il y a des années que politiquement, les dirigeants européens ne montrent qu’une amitié extrêmement modérée envers Israël, les États-Unis étaient, depuis plus d’un demi-siècle, le grand ami et le grand allié d’Israël. Si cette amitié et cette alliance devaient vaciller, ce serait infiniment plus grave pour Israël.
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