S’il y a bien un domaine dans lequel l’activité de « lanceur d’alerte » n’a pas bonne presse, c’est la question identitaire. Autant il est de bon ton de s’appeler Assange ou Snowden pour cracher sur les chancelleries mondiales, à commencer par la première d’entre elles, dont la puissance certes déclinante, ne va pas sans poser question, autant il reste malséant d’aborder certains sujets qui fâchent. Prenez le harcèlement des femmes dans le dix-huitième arrondissement de Paris, plus précisément au cœur du quartier de La Chapelle-Pajol.
Ne surtout pas « stigmatiser »!
Sous prétexte de ne « stigmatiser » personne[1. Un jour, il faudra retracer la généalogie de la sécularisation médiatique de ce terme chrétien. Depuis quand est-il infamant d’avoir des stigmates ? Sont-ce forcément les mâles blancs chrétiens qui les posent ? Saint François, au secours !], certains éditocrates refusent de nommer les choses, quand ils ne détournent pas carrément le regard vers le doigt qui les désigne, accusé de tous les maux. Ainsi, dans le cas qui nous intéresse, est-il couramment reproché à la candidate LR aux législatives Babette de Rozières, cuisinière cathodique antillaise pourtant peu suspecte de racisme, de manipuler la misère sociale et culturelle du quartier Pajol à de basses fins électoralistes. Peu importe qu’une adjointe communiste au maire de l’arrondissement corrobore ses dires. Lorsqu’Alain Finkielkraut, Céline Pina ou le Printemps républicain dénoncent l’existence de « no go zones » où il ne fait pas bon être une femme tant le machisme y règne, d’aucuns les traitent de racistes ou rappellent les heures les plus sombres du patriarcat cisgenre, blanc et chrétien.
La stratégie de l’édredon
Si je résume, cette stratégie de l’édredon marche à deux goussets :
– le voyage dans le temps, étant entendu que les errements d’hier justifient ceux d’aujourd’hui (suivant cette logique implacable, les crimes des totalitarismes du XXe siècle devraient être relativisés du simple fait qu’on s’étripe depuis les balbutiements de l’humanité).
– le voyage dans l’espace, façon « Rendez-vous en terre inconnue », à la recherche des derniers reliquats de patriarcat blanc et catholique. Réalisatrice et comédienne d’un clip contre les mariages forcés, Lisa Azuelos et Julie Gayet excellent dans cet exercice de fiction, qui consiste à dénicher de vieux barbons leucodermes qui enferment leur fille.
Nous y voilà. Le choc des cultures engendré par l’immigration de masse aboutit à un multiculturalisme de fait qui ne profite pas aux minorités, singulièrement aux femmes. Demandez aux assyro-chaldéens de Sarcelles ce qu’ils pensent de l’immigration musulmane, vous aurez grand-peine à obtenir une réponse acceptable par la XVIIe chambre correctionnelle. Dans le 18e, comme d’ailleurs à Sevran et tant d’autres territoires occupés de la République, ce sont les femmes qui trinquent, ou plutôt qui ne trinquent pas. Une tradition immémoriale exacerbée par le « revival » islamiste de ces dernières années réserve en effet les cafés aux hommes et voit d’un mauvais œil les femmes non-accompagnées, tout comme les « musulmans d’apparence » se bâfrant en plein Ramadan. Soit dit en passant, les médias obsédés par le racisme et le contrôle au faciès devraient se pencher sur la pression subie par les enfants d’immigrés réfractaires de ces quartiers, des Femmes sans voile d’Aubervilliers aux mères de Sevran.
Télérama encore plus loin dans le déni
Mais revenons à La Chapelle. Si je me fend d’un articulet, c’est que Télérama va un pas plus loin qu’Arte dans la stratégie du déni. Quand la chaîne hertzienne déprogramme préventivement un documentaire sur le nouvel antisémitisme, qui n’a pas l’accent teuton, le magazine branché la joue plus finaud. Dans un article mémorable, il n’est pas question de nier la ségrégation sexuelle à Paris, Sevran, ni même les viols de Cologne. A l’instar d’Osez le féminisme, les « dénis oui-oui », comme les appelle François Bousquet, sont passés à l’étape suivante : relativiser, déconstruire, détourner les regards.
Démonstration. Avec le concours d’une historienne et d’un anthropologue auteur de l’essai Paniques identitaires, Télérama procède en trois temps :
– Sans nier les faits, psychiatriser ceux qui les dénoncent
– Chasser le « facho » (qu’on appellerait lanceur d’alerte s’il se contentait de dénoncer un fléau économique)
– Faire « débattre » deux Monsieur Homais qui dénoncent la violence anti-migrantes des « dominants » (une catégorie incluant les femmes blanches harcelées ?).
Migrants ou immigrés?
Le plus regrettable de l’opération, c’est sans doute la confusion mentale qui en résulte. Disculper les migrants du quartier est louable et justifié, puisque d’après les témoignages que j’ai recueillis çà et là, ces pauvres hères ne participent pas à l’apartheid sexuel. Les bourreaux des femmes sont français, de papier, sinon de culture, et implantés de longue date sur notre territoire. Mais analyser ce choc des cultures relève de ce que les deux experts interrogés, Laurence de Cock et Régis Meyran, appellent les « paniques identitaires ». En gros, cela consiste à extrapoler une situation de crise pour la mettre au service d’une idéologie nauséabonde qui fera-le-jeu de qui vous savez… Le sociologue Gaël Brustier, autrement plus brillant, décortiquait-il les « paniques morales » sans moraline, en s’interrogeant sur leurs conséquences politiques. Il n’est pas anodin que le terme de « panique morale » ait été forgé par l’essayiste américain Thomas Frank, auteur de Pourquoi les pauvres votent à droite. Tout à leur oeuvre d’exorcistes, Cock (qui dément tout lien de parenté avec Basile !) et Meyran accouchent d’une vieille resucée des Damnés de la terre. Le danger ? Essentialiser les cultures, les figer, les résumer à quelques traits peu sympathiques. Fort juste : mais qui les essentialise, sinon ceux qui s’en prévalent pour houspiller les femmes et faire la loi ? Que je sache, Ibn Khaldoun n’a jamais joué au phallocrate, mais bien peu des « dominés » que choient nos deux universitaires l’ont sans doute lu.
Expliquer, c’est excuser?
La parole est à la défense. Pour Laurence de Cock, qui entend préparer les enfants à l’immigration dès le cours de Préhistoire, « il ne s’agit surtout pas de relativiser ou de rendre illégitimes ces frayeurs. Ce que l’on dénonce, c’est le culturalisme, cette façon de réduire le comportement d’individus à leur identité culturelle au détriment d’autres domaines d’explication ». Qu’on se le dise, Les Territoires perdus de la République est un livre d’extrême droite, assène-t-elle sur Twitter.
Tranquillou, Finki conseille à @MarleneSchiappa de lire un ouvrage d’extrême-droite pour se cultiver. On croit rêver https://t.co/mHE329G1Vn
— Laurence De Cock (@laurencedecock1) 27 mai 2017
On ignorait que le coordinateur de cet ouvrage collectif, Georges Bensoussan, fût un idéologue fascisant. La Revue d’Histoire de la Shoah, une Libre parole revisitée ? Soyons sérieux. Et Laurence de Cock de conclure : « Penser les choses de façon sociologique, c’est donner du sens donc apaiser ». Expliquer, apaiser… puis excuser?
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