« C’est merveilleux d’être constamment surveillée », déclare Ernestine Marshall à la chaîne de télévision Fox News. La sexagénaire vit en Floride, elle est atteinte de sclérose en plaques et son assurance santé « Humana Inc. » a équipé, voici un an, son modeste appartement d’une dizaine de détecteurs de mouvements. À chaque fois qu’ Ernestine déambule, ouvre son frigo ou son armoire à pharmacie, qu’elle se couche ou tire la chasse de ses toilettes, sa compagnie d’assurance santé l’enregistre. Ses moindres faits et gestes sont surveillés.
À tel point que si un élément anormal vient troubler la routine d’Ernestine, un superviseur lui téléphone illico depuis sa tour de contrôle, pour s’assurer que tout va bien. C’est arrivé une fois que l’assureur consciencieux a remarqué qu’Ernestine « dormait mal », se souvient-elle. « Je m’étais levée à 3 heures, puis à 5 heures du matin. ». Or, chez Humana Inc., on considère que « toute rupture de la routine peut être le signe avant-coureur d’une crise ». Loin d’être gênée par cet anéantissement de sa vie privée, Ernestine se déclare satisfaite : « Grâce à ce système, je peux rester chez moi, et n’ai pas besoin d’aller dans une structure spécialisée ni de vivre avec une aide à domicile. ». La surveillance serait donc la liberté ? Si Ernestine a été surprise quand les superviseurs de l’assurance lui ont téléphoné, sur Fox News, elle se contente d’un « wow » pour dire son admiration. Comme souvent, l’enfer est pavé de bonnes intentions : ses défenseurs mettent en avant qu’avant l’avènement de cette technologie, les malades chroniques devaient se déplacer pour voir un médecin. Maintenant, ils peuvent être suivis, tranquillement, depuis chez eux.
La supervision du patient chez lui n’est qu’une des applications de ce qu’on appelle la « télémédecine », soit le fait de pratiquer la médecine, à distance, via les nouvelles technologies. La « télémédecine » ou « telehealth » est en plein essor aux Etats-Unis, pays qui compte de nombreuses zones rurales et dont l’immensité encourage médecins et patients à préférer la consultation par Skype, moins coûteuse.
De fait, la loi s’adapte à cette évolution. En 2000, seuls cinq Etats rendaient obligatoire le remboursement par les assurances privées des consultations en ligne. Aujourd’hui, dix-neuf Etats ont fait passer cette loi. Les détracteurs de la télémédecine mettent en garde contre la dénaturalisation de la consultation. Le docteur Verghese, s’exprimant sur la célèbre chaîne internet TED s’était ému que l’on « perde un rituel transcendant qui est le coeur de la relation entre le patient et le scientifique. ». Le législateur aux Etats-Unis se demande maintenant s’il doit plafonner les honoraires des médecins consultant en ligne.
Alors qu’en Floride, ces débats sur l’encadrement de la télémédecine seront tranchés dans six mois, ces nouvelles pratiques sont déjà bien réelles pour Ernestine Marshall qui s’est portée volontaire pour être constamment surveillée.
Rien de tel pour l’heure en France, où seuls les patients présentant des risques cardiovasculaires envoient des enregistrements de leur rythme cardiaque à leur médecin. Personne n’a encore équipé sa maison de détecteurs, traquant leur activité.
*Photo: PANTHER/P.P.L. IMAGE/SIPA.00310438_000003
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