Une plage pour les juifs, une plage pour les arabes (et les gauchistes) – avec entre les deux des dizaines de gendarmes et des check-points que franchissent seulement les journalistes, venus en masse : voilà à quoi ressemble cet été le « vivre-ensemble » à Paris. Kippas et mini-jupes d’un côté, keffieh et quasi-burqas de l’autre. Autant le dire d’emblée : à en juger par la longueur des files d’attente aux contrôles de sécurité, Gaza fait plus recette que Tel Aviv…
En important le conflit israélo-palestinien dans le décor de carton-pâte que d’aucuns appellent « plage », Anne Hidalgo aura célébré avec éclat l’alliance du festif et du sécuritaire. Le plus comique, dans cette consternante affaire, est que les opposants à son initiative aient réussi à recréer sur les bords de Seine les traits les plus visibles de l’ordre qu’ils affirment dénoncer – là-bas aussi, chaque peuple a ses plages, même si aucune loi n’organise cette séparation, et là-bas aussi, on s’affronte sans se rencontrer. Bref, ils ont réussi : on s’y croirait !
Ceux qui espéraient une ambiance détendue et festive en ont donc été pour leurs frais. Passé le stress de l’entrée, il faut marcher une centaine de mètres pour atteindre le mini dancefloor ensablé sur lequel un DJ fait danser une dizaine de femmes qui youyoutent en short. Une oreille non exercée pourrait croire que c’est de la musique arabe, mais en l’occurrence, c’est de l’hébreu. Alors qu’on piétine devant le petit stand de fallafels attenant, les danseuses agitent deux drapeaux israéliens et un drapeau français, tout sourire malgré la tension palpable aux alentours. Et c’est tout. Quant au public, il semble presque exclusivement composé de « feujs ». Un DJ et un stand de fallafels : voilà pour le côté israélien.
Ensuite, nada, plus rien à voir. Du moins, jusqu’au barrage de gendarmes mobiles installé sous le pont Notre-Dame. Et pour cause : au-delà, c’est « Gaza plage », la manif improvisée par quelques associations dans la foulée des déclarations indignées du Parti de Gauche et d’EELV. Pour y accéder, on traverse le cordon de flics, et on aperçoit très vite les drapeaux palestiniens accrochés tout le long des rambardes. Curieusement, on ne peut pas franchir le passage dans l’autre sens (Gaza-Tel Aviv…).
Entourés d’une foule nettement plus compacte, les militants d’Europalestine et de BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions), en tee-shirts verts, se sont approprié l’espace pour y installer des stands. Au menu : tracts, keffiehs, épices… En slalomant au milieu de la foule, on croise une jeune femme intégralement voilée à l’exception du visage, ostensiblement fermé. Mais le drapeau palestinien qu’elle tient à la main ressemble à un mouchoir de poche comparé à celui – géant – qu’un jeune homme est en train d’accrocher au mur qui longe le quai. Côté déco toujours, des photos d’enfants mutilés et de destructions attribuées à qui vous savez. Ici, le mal n’a qu’un nom.
« Nous, on ne veut pas de Tel Aviv, on n’aime pas Tel Aviv », explique un grand gaillard énervé à une petite dame qui s’est visiblement égarée de ce côté, mais ne se démonte pas. « Avez-vous lu cela ?», s’énerve-t-elle en brandissant Hippocrate aux enfers, livre sur les atrocités médicales nazies. C’est l’une des rares rencontres entre les deux « plages ». Immédiatement, une nuée de caméras les encercle. Sur de grandes banderoles, on retrouve les slogans habituels : « Boycott Israël, Etat criminel », « Laissez passer les bateaux », « Israël apartheid »… Et quelques adaptations de circonstance : « Hidalgo célèbre l’occupation israélienne », « Non à la collaboration avec l’Etat israélien », « Hidalgo sponsor de la colonisation »…
L’ennui, c’est qu’il est impossible de revenir dans la petite « bande » de Tel Aviv plage. Parce que dans ce sens-là, donc, les forces de l’ordre ne laissent passer personne, même avec une carte de presse. Gaza plage représenterait-elle une menace plus importante pour Tel Aviv plage que l’inverse ? On marchera donc un kilomètre de plus, jusqu’au Pont-Neuf (sans compter un saut de puce en bus), pour revenir à notre point de départ. Pourtant, la longueur de la « plage » parisienne est ridicule…
Sur ce petit bout de l’hypercentre de Paris, de la taille d’un confetti, tout a été fait pour empêcher le moindre contact entre une population et une autre. Mission accomplie pour la mairie de Paris en cette journée ensoleillée, jusqu’à l’averse qui a sans doute participé, en fin d’après-midi, à ce que chacun rentre « chez soi » sans croiser son voisin. Pas grave, après tout, il y a une fête pour ça aussi.
*Photos : Pascal Bories
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