L’Adieu à la nuit d’André Téchiné aborde frontalement la question de la radicalisation et du djihadisme en France. Loin du pathos larmoyant du cinéma français, le réalisateur évite de filmer les banlieues et fait mouche.
Nous sommes en 2015. Lui, c’est Alex (Kacey Mottet-Klein), un jeune homme qui prétend aller refaire sa vie au Canada. Elle, c’est Muriel (Catherine Deneuve) sa grand-mère qui découvre rapidement que son petit-fils s’est converti à l’islam et qu’embrigadé par Daech, il s’apprête en vérité à rejoindre la Syrie. À l’exception notable de Mon cher enfant, le film passé inaperçu de Mohamed Ben Attia, le cinéma français de fiction a jusqu’à présent maltraité le sujet auquel s’est attaqué André Téchiné avec son nouveau film, L’Adieu à la nuit.
Le résultat est d’autant plus recommandable qu’on n’attendait pas forcément l’auteur des Roseaux sauvages sur le thème de la radicalisation et du djihadisme en France. Loin de jouer la carte purement documentaire, il conserve les habits de la pure fiction pour dresser un tableau familial des plus complexes. Il pulvérise, mais tout en douceur, les clichés en cours autant que les exonérations faciles. Téchiné a ainsi l’intelligence de ne pas planter son histoire dans une banlieue que le cinéma français adore autant qu’il méconnaît.
Deneuve dirige ainsi un centre équestre dans un coin perdu des Pyrénées-Orientales, paysages sublimes garantis, avec au programme chevaux et sangliers, sur fond d’éclipse de lune. Un paradis pour cow-boys comme le suggère malicieusement la chemise à gros carreaux qu’arbore une Deneuve définitivement crédible dès la première scène. Autant dire que le monde que veut fuir son petit-fils n’est pas l’enfer habituellement évoqué du matérialisme débridé. On coule à l’abri de ces montagnes du Sud-Ouest des jours tranquilles. Loin du bruit et de la fureur des cités qui légitimerait tout selon la doxa en cours. Le futur djihadiste l’écrit à sa grand-mère : en quittant ce cadre de vie, il fait ses « adieux à la nuit », comme le titre le rappelle. Autant dire que sa boussole interne est déréglée et qu’il voit le monde à l’envers. Tout lui est donné, y compris la possibilité de se comporter en voyou. Il ne recule devant rien, ni le vol domestique, ni le mensonge familial, pour financer son futur voyage. Ni enfant perdu ni déséquilibré mental, il entre dans ses propres ténèbres avec une obstination glaçante et une détermination que son proche entourage religieux se charge de galvaniser à tout instant. Et Téchiné se garde bien d’en faire un héros de l’époque ou une victime sinon de lui-même et de ses fantasmes.
Face à lui se trouve une grand-mère courage aussi résolue que son petit-fils est aveugle et sourd. Aussi résistante qu’il le faut pour les siens quand ils sont prêts à vous quitter et à perdre leur vie pour des chimères. Alors elle se bat, comme chacun d’entre nous le ferait assurément. Aimer à perdre la raison ou presque, tel sera son programme pour éviter le pire. Cette femme refuse absolument la fatalité de la mort annoncée d’un fanatique. Elle ira jusqu’au bout : pas de liberté pour les ennemis de la liberté, semble-t-elle dire quand elle enferme son petit-fils avec ses chevaux. L’indomptable devra bien céder. Téchiné nous épargne ainsi les affres de la thèse sociologique pour nous ramener à l’essentiel : entre la nuit et les lumières, le choix est vite fait, y compris pour autrui dès lorsqu’on l’aime, qu’il est la chair de votre chair. Téchiné est du côté de Renoir : il laisse sa chance à chacun de ses personnages, il ne les juge pas a priori. Mais, la « règle du jeu » est claire dans ces conditions : il existe toujours un moment de bascule où il faut choisir son camp. D’où l’importance du montage parallèle entre une fête de famille joyeuse, décomplexée, libre, et la réunion absolument mortifère des jeunes fanatiques candidats virtuels au suicide. Jusqu’à la fin, que l’on se gardera bien de révéler ici, Téchiné garde sa note, c’est-à-dire sa volonté de raconter une histoire et non de décrire une situation. C’est ce qui s’appelle le cinéma.
L’Adieu à la nuit, d’André Téchiné, en salles depuis le 24 avril.
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