Tout d’abord on est content. Pour elle, pour sa famille, pour ses proches.
Ensuite on est admiratif : techniquement, l’opération militaire était spectaculaire et pour tout dire réjouissante.
Et puis… et puis c’est tout, ou presque. Parce que, franchement, on voit mal de quoi cette libération est le symbole…
S’agit-il d’une victoire pour les droits de l’Homme ? Pas vraiment, et pour une raison simple : la capture, la détention, et la libération de Mme Betancourt sont de fait des événements essentiellement colombo-colombiens, sans aucune portée universelle. Si Ingrid n’avait pas, dans sa jeunesse, tissé un puissant réseau d’amitiés dans les élites parisiennes, si La rage au cœur, son recueil de banalités édité par XO n’avait pas fait un carton sur les plages à l’été 2001, je ne pense pas que les autorités françaises auraient fait le moindre effort pour la libérer, et je ne suis même pas sûr que les FARC se seraient donné la peine de la kidnapper. M’est avis que si Marulanda avait eu le choix, il aurait mille fois préféré capturer Madonna ou Brad Pitt… L’abominable calvaire qu’a vécu Ingrid Betancourt lui a été imposé par son statut de micro-vedette des médias, pas par ses idéaux. Certes il est possible que son exfiltration ait un impact sur les affaires intérieures colombiennes (mais, en vrai, qu’est-ce qu’on s’en fiche ?) ; en revanche, il est certain qu’à l’échelle planétaire, cet heureux dénouement c’est peanuts. Pardonnez-moi de gâcher la fête, mais cette libération-là n’est pas celle de Sakharov ou de Mandela. Il est vrai que, dans ces deux cas, TF1 n’avait pas jugé impératif d’interrompre ses programmes.
S’agit-il d’une victoire de la démocratie ? Bof. C’est, me semble-t-il, une mauvaise plaisanterie dans le cas d’Uribe, de son régime largement adossé aux milices paramilitaires, aux conseillers spéciaux américains et – autant, et peut-être plus que les FARC ne l’ont jamais été – aux narcotrafiquants. Parler dans cette affaire de victoire de la démocratie, c’est a minima avoir une piètre opinion de celle-ci – opinion respectable, même si Bernard Kouchner la défend trop rarement en public.
Victoire contre le terrorisme ? A la rigueur, je veux bien… Mais faut-il combattre le terrorisme ? A mon avis, non. Pas en tant que tel en tout cas. Personnellement, je ne regrette absolument pas d’avoir passé une bonne partie de ma jeunesse à défendre l’ANC de Nelson Mandela – y compris en collectant ouvertement de l’argent destiné à l’achat d’armes. Or l’ANC était bel et bien un mouvement terroriste. Pas seulement ça, certes, mais aussi ça. D’autres, plus vieux que moi, ont porté les valises du FLN mais, à leur décharge, le FLN, lui, ne s’encombrait pas d’otages. D’autres encore, aujourd’hui, témoignent vis-à-vis du terrorisme tchétchène ou gazaouï d’une mansuétude teintée de sidération enthousiaste. Faut-il rappeler qu’en 1943, une large partie de l’opinion française considérait Jean Moulin et ses camarades comme des terroristes ? Et que le Terrorisme avec un T majuscule, celui de Robespierre et Saint-Just est, que cela plaise ou non, la matrice de nos institutions ? Certes, tout cela ne nous dit pas si les guérilleros des FARC sont de courageux insurgés anti-impérialistes, genre Che Guevara-Robin des Bois ou d’odieux criminels marxistes façon Pol Pot-Savonarole. Pour être sûr de connaître la bonne réponse à cette question, il faut être abonné au Monde Diplo et au Meilleur de mondes. Et moi, je ne suis abonné qu’à Rock & Folk, à la Gazette de l’Hôtel Drouot et à Causeur version papier…
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