Maurice M. Taylor n’est pas un gentleman mais, comme on dit aux Etats-Unis, il n’est pas payé pour ça… Sa lettre adressée à Arnaud Montebourg est incontestablement excessive car sous prétexte de critiquer le fonctionnement de l’usine Goodyear, il s’adonne à un véritable exercice de French-bashing. Ici, c’est sûrement moins le grand entrepreneur qui parle que l’homme politique républicain. S’il s’en était tenu au strict point de vue de ses intérêts de « business », pourquoi s’obstinerait-il à se créer des problèmes sur un marché non négligeable en humiliant le gouvernement français et les potentiels consommateurs de ses pneus ? Mais si M. Taylor, du haut de son succès, peut se permettre de commettre des erreurs aussi grossières, nous Français ne pouvons pas nous payer le luxe de simplement nous indigner face à la missive de cet ours mal léché. Au risque de nous faire peur, nous devrions plutôt nous poser cette question : et si Taylor avait ne serait-ce que 10% ou 1% raison ? La crise et les pertes d’emplois sont-elles des catastrophes naturelles qui s’abattent sur nous comme des tsunamis ou bien en sommes-nous partiellement responsables ?
Osons même une question qui fâche : la France a-t-elle un problème d’ « employés voyous », ces salariés qui « vont au boulot » au lieu « d’aller travailler », mais qui nuisent à leurs entreprises en pensant que celles-ci doivent servir leurs intérêts particuliers ? La question qui se pose ici est celle de notre sens de l’intérêt général, de notre capacité de nous plier à quelque chose qui nous dépasse, d’être mus par ce mot terrible de « devoir ».
Chacun de nous le remarque autour de lui : les merveilleux chiffres de la productivité française ne correspondent pas à l’impression générale de je-m’en-foutisme. Trop souvent, on a affaire à des salariés trop heureux de vous indiquer que votre demande ne les concerne pas personnellement et qu’il vous revient donc de trouver le bon interlocuteur au sein de leur entreprise… en gros, des gens qui croient que le monde du travail est la continuité du lycée, un endroit où il faut se rendre tous les jours pour passer un bon moment avec les copains. Une enquête publiée hier par Le Point indique que 68 % des salariés de bureau considèrent que l’ambiance dans leur entreprise est « aux éclats de rire ».
Certes, l’entreprise ne devrait pas être une caserne ou une prison. Mais au vu des performances de notre économie nationale, le sentiment du devoir, d’identification avec l’entreprise dans laquelle nous travaillons et l’ambition de faire mieux, bref la volonté de jouer, de nous battre et de gagner en équipe devraient nous animer. Monsieur Taylor est certainement injuste et blessant mais l’unique démenti efficace que l’on peut opposer à sa diatribe est de le prendre à son propre jeu. Faisons donc en sorte que les membres de notre équipe, les chefs aussi bien que la troupe, jouent beaucoup mieux et aient une folle envie de vaincre.
*Photo : série Le Bureau.
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