Accueil Économie Taxe sur la fast fashion, le streaming musical et les livres d’occasion: une dissolution qui a du bon?

Taxe sur la fast fashion, le streaming musical et les livres d’occasion: une dissolution qui a du bon?

Il faut aussi dissoudre les taxes crétines!


Taxe sur la fast fashion, le streaming musical et les livres d’occasion: une dissolution qui a du bon?
© Jonathan Raa/Sipa USA/SIPA

Personne n’aime les impôts, à part peut-être les fonctionnaires publics, mais que dire des nouveaux impôts punitifs imaginés par nos gouvernants ? Dans leurs cartons, une taxe sur les livres d’occasion, le streaming musical ou encore la « fast fashion ». Censés entraver l’essor de plateformes étrangères (Amazon, Spotify, Shein, etc.), ces taxes ont surtout pour effet d’entrainer une augmentation des prix, tout en se révélant nocives pour l’environnement. Et si la nouvelle Assemblée avait le bon goût d’enterrer ces projets?


Le premier économiste à avoir inventé un impôt punitif est un Anglais, Arthur Cecil Pigou. Professeur de l’école d’économie de l’Université de Cambridge, Pigou s’intéresse à l’économie du « bien-être » et aux effets que peut en tirer la société. En 1920, dans une étude restée célèbre, The Economics of Welfare, il développe le concept d’« externalité », qui décrit l’effet indirect, positif ou non, d’une transaction privée ou d’une législation, comme la qualité de l’air ou de l’eau polluée par une usine. Pigou a une idée pour ces externalités négatives : les soumettre à un impôt. Dans l’histoire de l’économie, il porte le nom d’impôt Pigouvien.

Impôts et taxes : une passion française

Celui-ci enchante les socialistes français quand ils arrivent au pouvoir, en 1981. Sous le règne de François Mitterrand est conçu le premier impôt Pigouvien super turbo, l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune. Jamais, pourtant, il n’avait été prévu que l’impôt devienne « une punition » pour les riches, pas davantage pour les gros mangeurs, les buveurs de sodas sucrés, les fumeurs ou les conducteurs de véhicules diesel. L’usage punitif de la taxation est une dérive aussi condamnable que dangereuse. Taxer les paquets de cigarettes car elles nuisent à la santé, ou le diesel car il pollue l’atmosphère, sont deux exemples qui ont entraîné, le premier un marché noir du tabac, le second la révolte des gilets jaunes. 

Dérives punitives

Mais le refus d’admettre cette vérité continue à régner sur les esprits de nos élites bureaucratiques. Au prétexte de freiner le déferlement d’acteurs étrangers surpuissants, le législateur a imaginé une série de nouvelles taxes qui devraient surtout avoir pour effet de grever davantage encore le budget des ménages. Il souhaite ainsi s’attaquer aux vêtements bon marché qu’achètent en ligne les ménages les plus modestes : un malus de 50% pourrait être imposé, dans la limite de 10 euros par article, sur les ventes des entreprises de la « fast fashion » qui produisent à bas prix des modèles fabriqués à un rythme accéléré. Objectif assumé : infléchir les ventes des géants du prêt à porter que sont Shein et Temu en France.

Mauvais calculs

Si chacun conviendra qu’il est important de réduire l’impact d’un secteur responsable, à lui seul, de 10% des émissions globales, la méthode qui consiste à matraquer les classes populaires est-elle la bonne ? Le précédent gilets jaunes n’a-t-il pas vacciné nos caciques ? Surtout, s’en prendre simultanément à Temu et Shein participe d’une méconnaissance des modèles de ces deux sociétés. Si la première produit énormément dans l’espoir d’écouler un maximum d’articles, elle génère de fait des quantités colossales d’invendus, qui seront envoyés au pilon et donc gaspillés, entrainant une pollution évitable.

Shein pour sa part ne produit que de petites salves d’articles pour en tester l’accueil, puis, s’ils s’écoulent, en réinjecte la bonne quantité sur le marché pour répondre à la demande. Un modèle à la demande de rupture sur un marché où la logique de l’offre a longtemps dominé qui, s’il n’est pas exempt de défauts, permet en tout cas de réduire à la portion congrue les invendus, et donc les émissions. En réalité, ce n’est pas d’une taxe sur la « fast fashion » dont le secteur a besoin, la rapidité de production ou de livraison des vêtements ne constituant pas le cœur du problème, mais d’une taxe sur la mode peu scurpuleuse, indifférente à son impact sur l’environnement.

Il en va de même pour le livre d’occasion, un marché de 350 millions d’euros, en croissance depuis plusieurs années, soudain dans le collimateur d’Emmanuel Macron qui a annoncé en avril une taxe à la vente de 3%. On se demande pourquoi. Voilà un secteur dynamique et des revendeurs indépendants « punis » sans raison. Ces derniers ne font aucune concurrence déloyale aux libraires, ils écoulent surtout sur le marché les invendus des éditeurs. Coïncidence ? Un sondage Ipsos du 12 avril annonçait que le décrochage de la lecture chez les 15 -25 ans s’accentue.

Le marché du livre d’occasion, en valorisant la seconde main, permet en outre de limiter l’impact du secteur de l’édition qui, de l’aveu même du CNL, « possède une empreinte environnementale forte ». Tant qu’on y est, pourquoi ne pas taxer également les vêtements de seconde main, histoire d’alimenter davantage encore le problème que l’on prétend combattre ? Idem pour le streaming musical, plébiscité car pratique et économique, et qui a l’avantage de moins polluer que les formats analogiques. Si une microtaxe risque de détourner les plus jeunes et les classes populaires de la musique, les Français aisés s’en acquitteront sans problème, et auront même le loisir de s’en remettre aux CDs et vinyls. En définitive, ces taxes punitives, en plus de frapper durement les pauvres, s’avèrent délétères pour l’environnement. L’occasion est belle de les dissoudre elles-aussi.



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Journaliste, ancien grand reporter à L’Express, où il a couvert l’Amérique latine. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à cette zone, notamment Une Histoire du Brésil (Perrin, 2016) et Augusto Pinochet (Perrin, 2020).

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