Dean Tavoularis est grec et ça se voit. Dans ses dessins, tableaux et collages pointent ici ou là un torse de centaure, une corne du dieu Pan, la queue d’un Minotaure. Preuve sans doute que l’on n’échappe jamais à ses origines − je n’ai pas dit à son « identité nationale ». Cependant, Tavoularis n’est pas seulement grec : à y observer de plus près, le Pan esquissé d’un trait rouge a troqué ses sabots pour des escarpins façon Louboutin, accessoire glamour venu tout droit d’un studio de la Paramount.
En effet, l’artiste s’est retrouvé dès l’âge de 5 ans à Los Angeles qui, chacun le sait, se situe dans la banlieue d’Hollywood. Alors, Dean Tavoularis fera du cinéma.
Devenu chef-décorateur, il travaille avec les plus grands (Antonioni, Wenders, Penn, Polanski et, surtout, Coppola). Sa filmographie est une litanie de chefs-d’œuvre : Bonnie and Clyde, Zabriskie Point, Apocalypse Now, Conversation secrète et, bien sur, Le Parrain dont on retrouvera plusieurs story-boards dans la magnifique exposition qui lui est consacrée à la Galerie Catherine Houard[1. Dean Tavoularis, du 18 mars au 21 mai 2011, Galerie Catherine Houard, 15 rue Saint-Benoît Paris 6e].
Quant aux dessins originaux, ils sont souvent conçus comme des images tournées en longue focale, avec très peu de profondeur de champ. D’où l’insistance sur un personnage ou un objet dont les sentiments et l’âme sont rendus par le trait ou la couleur qui alternent dans des combinaisons inattendues.
L’une des œuvres exposées résume impeccablement ce mixage entre l’élégance classique du dessin et une mise en perspective cinématographique. On y voit, projetée sur un écran, la silhouette de l’immense acteur anglais Trevor Howard jetant un regard plongeant sur la salle et les spectateurs (à peine ébauchés), suscitant un doute épais sur l’envers et le décor. On ne sait plus qui intrigue qui, et c’est très bien comme ça. Collage, pastel et fusain, alternance et mélange de matières accentuent l’étrangeté de la situation.
Les scènes de crimes qu’il devait trouver pour ses metteurs en scène, Dean Tavoularis les habillait. Car le maître-mot qui caractérise son travail, c’est la stylisation. Il suffit pour s’en convaincre de voir les « dead bodies », authentiques clichés de la police californienne des années 1930, allégés de leur morbidité par une mise en couleur radicale, scénarisés par le dessin, la couleur et la fantaisie.
Ce que l’artiste a apporté au cinéma comme directeur artistique, le cinéma le lui a remboursé cash en lui permettant de mettre ses œuvres en scène. Le catalogue de l’exposition (établi notamment par Aurore Clément, son épouse), évoque le « paradoxe d’une vocation divisée. Heureusement divisée… ». On ne saurait mieux dire, tant les deux carrières de Dean Tavoularis s’emmêlent et se nourrissent dans un jeu séduisant de correspondances. C’est cette dualité qui fait son charme.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !