Avouez que vous ne l’avez pas vue venir! Christiane Taubira a déclaré vendredi « envisager » une candidature, puis a déambulé samedi matin en Seine-Saint-Denis. Alors, une candidate de gauche de plus pour l’élection présidentielle, oui ou non? Les gauches sont décidément irréconciliables entre elles, mais en l’état actuel des choses, elles sont surtout irréconciliables avec le pouvoir – pour reprendre la formule du journaliste du Figaro Arthur Berdah. En 2022 tout peut arriver, quel embarras. Philippe Bilger résume les épisodes précédents.
Dire que certains, des spécialistes la plupart du temps, nous annonçaient doctement que la campagne présidentielle de 2022 serait insipide puisque tout était joué quasiment ! L’incertitude est venue faire exploser ces convictions qui résumaient l’opinion autant qu’ils la fabriquaient. La droitisation, un constat dont on fait une tare, monte ; mais quel scandale que cette société qui ose s’affranchir d’idéologies « progressistes » à ne jamais remettre en cause ! Dans le désordre et l’effervescence, plus créateurs que tous les pronostics, un incroyable mélange qui fait fi des conventions, des habitudes et des conformismes. Le citoyen est bousculé comme le pouvoir.
Le dynamiteur en chef Eric Zemmour, qui ne s’est plus contenté des pensées radicales qu’avec d’autres il partageait, mais qui a changé la donne en les exprimant aussi brutalement que sincèrement. L’irruption, sans l’ombre d’une mauvaise conscience, de partialités médiatiques heureuses de jeter par-dessus bord des années d’honnêteté, parfois il est vrai à peine respectée.
Une inimaginable grossièreté, fond et forme, dans beaucoup de débats et dans les coulisses de ceux-ci. Je n’aurais jamais cru possibles les débordements du couple Corbière-Garrido. Comme si soudain ce qui retenait tant bien que mal avait lâché prise. Une sorte de lassitude face à ce que la décence avait trop longtemps imposé.
L’hypothèse Taubira ou le comble du ridicule
À cause d’Eric Zemmour, un RN dépassé dans sa volonté de normalité et son aspiration à un recentrage, Marine Le Pen apparaissant comme une incarnation de la mesure et un exemple de modération !
Une gauche dont on aurait besoin en démocratie mais qui ne sait plus de quoi elle est composée, entre la désuétude de ses valeurs historiques et le formidable narcissisme de certains de ses représentants persuadés d’être, chacun, le recours pour une unité impossible. Jean-Luc Mélenchon se débattant, toutes tempêtes confondues, pour rejoindre son niveau d’avant-hier mais se perdant à proportion. Le coup de grâce, le comble du ridicule, relevant de Christiane Taubira s’offrant, avec tous ses passifs, telle une ultime chance qui serait attendue par tous les socialistes.
Et, miraculeusement, une voix trop rare, sans ambition personnelle, venant rappeler certaines évidences de gauche de telle manière que la contradiction démocratique en serait enrichie si on l’écoutait: Stéphane Le Foll dont la constance, la fidélité et la répugnance au wokisme et à ces modes détruisant l’universel sous la frime lui sont aujourd’hui imputées à charge.
Des intentions de vote fluctuant chaque jour, pour accabler ou faire espérer, c’est selon.
La stabilité relative d’un socle pour le président de la République, donnant l’impression qu’il sera automatiquement qualifié pour le second tour. Il fait tout ce qu’il peut pour nous convaincre, à force de feindre l’hésitation, de son ambition d’être réélu.
Avec des soutiens inconditionnels à hauteur de l’inquiétude que leur inspire le changement des règles du jeu. Ce n’est pas fair-play : le second tour était déjà programmé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen et évidemment le premier allait gagner avec les légitimistes, la droite transfuge et une part de la gauche pas encore lassée de ne servir qu’à cela…
Le paradoxe est qu’on ne sent pas en France un vrai désir de prolonger la présidence d’Emmanuel Macron, candidat à plein temps, président pour l’image, cultivant l’émotion et n’hésitant pas à s’intenter des procès pour ses propos ou ses comportements déjà si souvent regrettés. Le pire serait à nouveau un second tour pour rien, donc pour lui.
Ainsi le nouveau monde de 2017 a abouti à ce terrible désenchantement de 2021.
La droite condamnée à réussir
Mais une droite de gouvernement, n’ayant pas besoin comme horizon de « Horizons » d’Edouard Philippe, a surgi. Et cela n’a étonné que ceux qui la rêvaient sinon morte du moins assoupie pour l’éternité. Dans un monde et une France sans repères, où il y a chaque jour quelque chose de nouveau sous le soleil, elle représente tradition, stabilité, pragmatisme et je l’espère, courage. C’est une chance historique pour cette droite d’action, si elle se retrouve au second tour, de n’avoir pas d’autre choix que de surprendre. Elle n’a pas tenu ses engagements hier, elle sera, le dos au mur, comptable de réaliser l’impossible : remettre de l’espoir, du rassemblement et du progrès dans un pays qui ne croit plus à rien.
Dans les premiers mois de 2022, ce billet apparaîtra peut-être vain et faux sur toute la ligne. Mais peu importe : on n’est plus à l’époque où la politique ressemblait à peu près à une science exacte. Où elle était maîtrisable. C’est fini. Maintenant, et pour longtemps, le citoyen ne pourra plus se fier qu’à lui, sans recours extérieurs, pour trouver son chemin dans l’imprévisibilité angoissante du futur et les surprises en tous genres de la République.