Comme dirait Jackie Berroyer : « Parlons peu, parlons de moi. » La notice qui suit mon nom sur causeur et me qualifie d’anarcho-réactionnaire en dit plus sur mon parcours que sur l’état de ma pensée. En fait, j’étais proche des milieux anarchistes jusqu’à une date trop récente pour que je puisse la révéler sans honte. Et un jour, à l’inverse de Lazare quand il retrouva la vie, j’ai cessé de marcher en traînant mes savates de République à Bastille et je me suis assis. J’ai ouvert les yeux sur le réel et en devenant clairvoyant, je suis devenu réactionnaire. En un mot je suis devenu adulte.
Il est vrai que dans ma jeunesse militante, aucun abus de pouvoir ne m’a envoyé en prison. Qui sait si je n’en serais pas sorti persuadé que ma pensée était dérangeante ? Maintenu dans l’illusion par effet de répression, soutenu par les écrits talentueux mais irresponsables de mes amis, au fond de quelle impasse idéologique cracherais-je aujourd’hui un anti-sarkozysme de rigueur ? Sur quel site d’info non-aligné et payant ou dans quel hebdo devenu bête et méchant pour de bon aurais-je fait acte de résistance contre la tyrannie libéral-sarkozyste qui enferme les dissidents et diffame les vrais libérateurs ? L’idée que j’aurais pu devenir une espèce de Frédéric Bonnaud me fait frémir.
À la lecture de l’entretien donné au Monde par Julien Coupat, incarcéré depuis plus de six mois, un constat s’impose : la prison ne remplit pas toutes ses missions. Si elle protège les honnêtes gens des criminels jugés, si elle dissuade une large majorité de personnes de violer la loi, la solution pénitentiaire semble peu efficace pour la réinsertion des prisonniers. Je ne parle pas de réinsertion professionnelle, je doute que ces contingences préoccupent beaucoup le penseur de Tarnac, mais disons d’un retour à des pratiques politiques respectueuses des exigences démocratiques, c’est-à-dire des autres gens.
Comme Jean-Marc Rouillan hier, Julien Coupat nous démontre que si on se berce de l’illusion qu’on est un prisonnier politique en France de nos jours, si on croit vraiment que « le pouvoir prend peur à cause d’un livre », ou que « ce qui fonde l’accusation de terrorisme, c’est la coïncidence d’une pensée et d’une vie », on a peu de chances de retrouver en sortant le chemin du bon sens. En effet, la compréhension du monde par Julien Coupat semble en être totalement dénuée. Si vous prenez la peine de lire l’entretien, vous mesurerez l’ampleur du fantasme.
Je vais tenter d’en extraire la substantifique moelle par quelques morceaux choisis.
– La répression : la France, « régime (…) de rafles de sans-papiers ou d’opposants politiques, de gamins bousillés par la police dans les banlieues (comme à La Courneuve ?) ou de ministres menaçant de priver de diplôme ceux qui osent encore occuper leur fac ». Rappelons à titre d’exemple que la fac de Saint Etienne, c’est 6000 étudiants et 200 bloqueurs.
– Le sarkozysme : « un tel régime, même installé par un plébiscite aux apparences démocratiques, n’a aucun titre à exister et mérite seulement d’être mis à bas ».
– L’opposition : la gauche « est trop lâche, trop compromise, et pour tout dire, trop discréditée pour opposer la moindre résistance à un pouvoir qu’elle n’ose pas, elle, traiter en ennemi ».
– Le peuple : le seul ennemi réel du « gang sarkozyste », « c’est la rue, la rue et ses vieux penchants révolutionnaires » : « Les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets. » On peut s’interroger sur ce qu’il adviendrait de cette étonnante coalition si la police, mandatée par la justice dans le cadre de lois votées par les représentants du peuple ne protégeait les droits des uns contre les abus des autres.
– La solution : « une révolte cruelle mais bouleversante ».
On peut discuter toutes ces affirmations mais la question essentielle n’est pas là. On peut dans notre République penser comme Julien Coupat et diffuser ses idées. On peut fonder un mouvement et, par sa seule force de conviction, entraîner une majorité de Français pour devenir chef de l’Etat, ce qui est beaucoup plus contraignant et donne moins de pouvoirs que faire chef de bande. La tenue d’élections libres le permet. C’est moins romanesque que la prise du Palais d’Hiver mais plus civilisé. On peut choisir un mode de vie autarcique et communautaire, ce qui, je le dis sans ironie, tente ma misanthropie et emporte toute ma sympathie. Notre société abrite en son sein des citoyens qui théorisent sa destruction. La loi protège la liberté de leur expression et autorise leur réunion et c’est très bien comme ça.
Ce qu’on ne peut pas faire en revanche, c’est arrêter les trains même si on trouve qu’ils roulent trop vite. Et encore, même pour ça, la loi a prévu des dispositions, le droit de grève pour les cheminots et le signal d’alarme pour les voyageurs. Dans le cadre de la loi : c’est comme ça que ça marche.
C’est ainsi qu’on peut partager ce pays, sans être d’accord et sans être ennemis.
Depuis que les élections sont libres, que la candidature à la fonction suprême est ouverte à tous, le gouvernement élu, c’est la volonté du peuple. S’attaquer à l’Etat, c’est s’attaquer au peuple. L’Etat de droit a aboli la révolution. En régime despotique, sans la liberté de choisir les dirigeants, prendre les armes c’est résister. En démocratie, c’est du terrorisme.
Ces idées simples, largement partagées, semblent avoir du mal à pénétrer les esprits compliqués des penseurs révolutionnaires.
Julien Coupat n’est pas un démocrate, voilà ce que révèle cet entretien au Monde. D’accord, ça ne mérite peut-être pas la prison.
Quant à l’affaire elle-même, j’aurais apprécié que les journalistes reprennent la seule question qui vaille, déjà posée par les enquêteurs : que faisait Coupat à proximité des rails, dans la nuit du 7 au 8 novembre ?
Réponse du présumé innocent : « Malgré mes talents avérés de voyance, je n’ai pas de solution à cette énigme. »
Julien Coupat se paie la tête des flics, la justice s’offre la tête de Coupat. Quel scandale.
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