« On est au-delà du fiasco judiciaire, on est dans le scandale d’Etat. » Ce sont les propos de Me William Bourdon, tenus le 25 novembre dernier au cours de l’énergique conférence de presse des avocats du « groupe de Tarnac » dans les locaux de l’Assemblée nationale, en présence de Noël Mamère et François Hollande. En dépit de la débâcle générale, les neuf membres présumés de la « Cellule invisible » sont toujours sous le coup d’une délirante mise sous contrôle judiciaire, grâce à l’inlassable bienveillance du juge d’instruction Thierry Fragnoli, qui demeure par malchance la dernière personne en France à les tenir encore pour des terroristes.
Les deux principaux piliers qui soutenaient le fameux chapiteau du cirque Fragnoli, pour reprendre la belle expression de Benjamin Rosoux, se sont pourtant écroulés depuis bien longtemps. Et, depuis le 25 novembre, il convient de reconnaître qu’il n’en reste simplement plus rien.
Le premier pilier, le fameux témoin sous X, à qui l’on prêtait une révélation cruciale selon laquelle les neuf de Tarnac auraient été « prêts à tuer » (autre chose que des canards et des lapins, s’entend), remet entièrement en cause ses déclarations. A propos des conditions de ces déclarations, Me Bourdon déclare : « On est dans la présomption très sérieuse de falsification de preuves », et n’exclue pas la possibilité de pressions policières sur une personnalité très fragile.
Le second pilier du chapiteau, c’est – ou plus exactement, c’était – le procès-verbal D104, féérique « compte-rendu » de la filature d’Yildune Lévy et Julien Coupat durant l’étrange nuit du 7 au 8 novembre 2008, la nuit du sabotage de caténaire de la ligne TGV Est. Les avocats pointent les incalculables incohérences de ce document. Ils contestent point par point le minutage de la filature et relèvent que les traces de pneus et de chaussures analysées par la gendarmerie sur place ne coïncident hélas en rien avec celles du fameux couple criminel. Tout porte à penser que les diaboliques jeunes gens ainsi que leur véhicule étaient enveloppés dans une cape d’invisibilité (la fameuse Tarnkappe !). Les avocats sont extrêmement intrigués en effet par le fait que les policiers n’aient rien vu du sabotage lui-même. La configuration de la voie ferrée à Dhuisy rend la chose hélas strictement impossible. « Les policiers ont inventé, c’est le fruit de leur imagination. Ni les suivis, ni les suiveurs n’étaient présents sur les lieux », déclare Me Assous. Selon Me Thierry Lévy, « le gouvernement a pris la responsabilité d’ordonner des enquêtes en incitant les policiers et les juges à se montrer peu scrupuleux afin de donner consistance à quelque chose qui n’existe pas ».
En réponse, le juge d’instruction Fragnoli se drape dans sa cape du silence et lance, la veille de la conférence de presse des avocats, un nouveau commando de la SDAT pour une nouvelle calamiteuse arrestation à Tarnac. Le commando fait montre une fois encore de la même délicatesse que lors de la scandaleuse arrestation de Tessa Polak par les mêmes infra-cowboys. Me Jérémie Assous, avocat de la nouvelle victime de Fragnoli, déclare dans La montagne : « Ils ont cassé la porte de l’appartement ce matin à 6 h 30. Ils ont procédé au placement en garde à vue de Christophe Becker. Ils ont procédé à une perquisition lors de laquelle ils ont tout retourné dans l’appartement. Face à la peur et à l’angoisse des enfants, notamment du petit de 4 ans, ils ont eu comme réaction pour le calmer de le braquer. Comme si braquer un enfant de 4 ans pouvait le calmer. C’est la deuxième fois qu’ils procèdent de la sorte alors que les coordonnées de M. Becker, ils les ont dans le dossier depuis de nombreux mois. Une simple convocation aurait permis d’obtenir le même résultat. Quand on pense qu’on en est à auditionner, notamment la jeune fille au pair que Julien Coupat a eu, il y a 22 ans, […] Si on en est là. Si une instruction antiterroriste ne propose rien d’autre, mieux vaut effectivement la suppression du juge d’instruction. »
Christophe Becker a subi à son tour une scandaleuse garde à vue anti-terroriste de quatre jours, au terme de laquelle il a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, sur la base de prétendus faux-papiers qui avaient déjà été « découverts » depuis plus d’un an.
Une telle pertinacité de l’erreur, un tel entêtement dans la guignolade méritent un nom : je propose celui de fragnolade.
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