Je ne sais pas s’il y a une justice de classe comme on disait jadis à gauche ou si au contraire la magistrature est noyautée par d’affreux juges rouges, ceux du Syndicat de la magistrature déclenchant des réactions proprement pavloviennes dans certains milieux. Moi, j’aurais plutôt tendance à penser qu’un bon juge doit être comme un bon écrivain : quand l’un juge et que l’autre écrit, dans l’idéal, ils devraient ne plus avoir de sexe, d’âge, de religion, d’appartenance politique. Le contraire, par exemple, de ce qui se fait lors des comparutions immédiates, une roulette russe pour ceux qui se font prendre à la fin d’une manif ou d’une émeute : le même, à Lille, écopera d’un simple rappel à la loi tandis qu’à Marseille, il ressortira avec les bracelets aux poignets et de la prison ferme. Mais, malgré tout, il arrive parfois qu’il y ait des épilogues réconfortants en matière de justice.
Dès novembre 2008 et dans les mois qui ont suivi, la rédaction de Causeur, bénie soit sa tolérance, nous a laissé à Bruno Maillé et à votre serviteur exprimer ce que nous pensions de l’affaire de Tarnac et de cette soi-disant conspiration terroriste anarcho-autonome qui avait vu les hommes cagoulés de la SDAT envahir le 11 novembre à l’aube un petit village corrézien du plateau de Millevaches pour y arrêter Julien Coupat, sa compagne Yldune Lévy ainsi qu’une vingtaine de personnes à Rouen et Paris. La raison : le groupe « affinitaire » — dont la principale activité était l’animation d’un restaurant coopératif, d’une épicerie et d’une bibliothèque, pour un village bien oublié, et ce au grand bonheur des habitants — s’apprêtait en fait, après le premier sabotage d’une ligne de TGV le 8 novembre, qui n’a à aucun moment mis en danger la vie des passagers, à passer à l’action armée. Rien que ça…
Un petit goût de « Minority report »
Dès le 15 novembre, Coupat et ses amis se retrouvaient incarcérés plusieurs mois dans le cadre des lois antiterroristes puis soumis à un contrôle judiciaire sévère. Peu à peu, les avocats ont démontré les insuffisances du dossier alors qu’apparaissait clairement que cette descente de police et ses suites judiciaires avaient une origine : Alain Bauer, conseiller sécurité auprès du président Sarkozy et aujourd’hui, tiens, tiens, auprès de Manuel Valls. Bauer se fondait sur un livre, L’insurrection qui vient, publié quelques temps auparavant par la mouvance post-situ et qui connut un retentissement inespéré grâce à cette publicité d’Etat.
Alain Bauer aurait trouvé dans ce texte la preuve par anticipation des actions que commettrait le groupe de Tarnac. Il ne fut d’ailleurs jamais démontré que Coupat était l’auteur du livre. Mais qu’importe, on était en plein Minority report avec Bauer dans le rôle du précog arrêtant les coupables qui ne savaient pas qu’ils étaient coupables avant qu’ils ne le deviennent effectivement. Vous me suivez ?
On avait besoin sans doute du côté de Nicolas Sarkozy, de Michel Alliot-Marie et de Bernard Squarcini, chef de la toute nouvelle DCRI, d’un ennemi intérieur pour justifier un renforcement de ce qu’on a appelé parfois l’idéologie antiterroriste, c’est-à-dire la manière dont un Etat peut opportunément se servir d’événements terroristes pour renforcer un arsenal législatif visant à une surveillance accrue de la population, et notamment ceux qui ont l’outrecuidance, par exemple, d’appartenir à un syndicat ou une association ou un mouvement politique un peu vigoureux.
D’années en années, le dossier s’est dégonflé, un juge d’instruction a été dessaisi et des policiers ont même été mis en examen pour faux en écriture. Bernard Squarcini, lui, poursuit désormais une carrière de consultant chez LVMH et semble à son tour connaître le bonheur des perquisitions, mais dans des affaires de corruption. On ne peut décidément plus faire confiance à personne…
Coupat, un Fantômas moderne
Néanmoins, avec les années, l’accusation de terrorisme était maintenue et la pression demeurait, au point que certains ont cru voir la main de Coupat, ce Fantômas moderne, dans les actions des casseurs en fin des cortèges du récent mouvement social. Mais voilà, le 28 juin, la Cour d’appel, après les juges, et à chaque fois contre les réquisitions du parquet, a décidé que Julien Coupat et les derniers membres du groupe impliqués seraient jugés en correctionnelle pour le sabotage de novembre 2008 mais sans la qualification de terrorisme.
Ce n’est pas une mince victoire, après huit ans d’errements et d’acharnements. La Cour d’appel a sans doute estimé que le mot « terrorisme » pouvait difficilement s’agiter comme un chiffon rouge au nom de la raison d’Etat, afin de faire peur au bon peuple, depuis les massacres de janvier et novembre 2015. Qu’on ne soit pas des saints du côté de Tarnac, c’est indéniable. On pourrait d’ailleurs s’en réjouir. Ces jeunes gens ont quelque chose à nous dire que ça nous plaise ou non de l’entendre. Après tout, décider que cette société court à sa perte et éventuellement indiquer qu’ils ne sont pas prêts à aller à l’abattoir sans broncher par des actions spectaculaires ou même émeutières est une chose. Frapper de manière aveugle la foule au nom de l’idéologie totalitaire de Daech en est une autre. Et il devient difficile de confondre les deux sous le même vocable de terrorisme, sauf mauvaise foi délirante ou amalgames bassement politiciens dont le gouvernement ne s’est pas privé durant le mouvement social.
On parlera plutôt comme la juge d’instruction de « dégradation en réunion » et « association de malfaiteurs ». Ce n’est pas bien, si vous y tenez, mais pour le coup il n’y a ni terreur, ni mort d’homme malgré, comme le dit toujours la juge, le « rhétorique guerrière employée ». Voilà qui doit sonner désagréablement aux oreilles d’Alain Bauer, le Fouché des années 2010, qui sert tous les régimes.
Même le parquet général qui représentait le dernier espoir des idéologues de l’antiterrorisme, a décidé que la farce avait assez duré : s’il a formé un pourvoi en cassation pour annuler la décision de la Cour d’appel dès le 29 juin, il abandonne lui aussi la qualification de « terrorisme », contrairement à ce qu’il avait fait en août 2015. Un certain acharnement demeure, mais on sent bien que le cœur n’y est plus. Comme le remarquait Lundi Matin, un site proche de Tarnac : « En attendant le prochain épisode, notons qu’entre le moment de leur arrestation et leur éventuel procès, les prévenus auront connu trois présidents. »
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