Est-il possible d’émettre quelques petites réserves, au milieu des clameurs qui ont salué, y compris dans ces colonnes, la démarche de Jacques Tardi ? Tout d’abord pour que les choses soient claires, grand amateur de bande dessinée, l’auteur de ces lignes possède tous les albums de Tardi. Son talent et son originalité sont exceptionnels. Sa démarche se rattache à un courant traditionnel français, celui de l’anarchisme pacifiste. Illustré, avec quel talent, notamment par Georges Brassens, ce courant vivace et ancien irrigue depuis longtemps la culture française, et c’est heureux.
C’est pourquoi on ne pouvait qu’être stupéfait en apprenant qu’on avait attribué la Légion d’honneur à Jacques Tardi lors de la promotion du nouvel an. Et rassuré à l’annonce de son refus. Tardi est cohérent. L’accepter aurait jeté une ombre un peu curieuse sur l’ensemble de son œuvre.
La première observation que l’on peut faire cependant, ou plutôt la première question à poser serait celle de savoir comment Tardi a pu être proposé par le ministère de la culture à la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur sans en avoir été informé. Le dossier de proposition doit être extrêmement complet, CV détaillé, mémoire de soutien, casier judiciaire, parrainages etc. Cela prend en général plusieurs mois et mobilise plusieurs personnes. Curieux qu’il y ait eu un black-out total. Et que Tardi n’ait eu vent de rien du tout avant la publication du Journal Officiel.
Ensuite, qui a eu l’idée saugrenue de le proposer ? La suite était inévitable. Était-elle prévue ?
L’explication, on la trouve peut-être dans le dessin publié par Plantu. On y voit des poilus dans une tranchée, émus, remerciant Tardi pour son geste. Cette façon de les enrôler est en elle-même déplaisante. Mais en fait, il s’agit de faire la promotion de la thèse du refus par la masse du peuple français de la guerre de 14-18. De parler et d’honorer d’abord des fusillés pour l’exemple. Et de faire resurgir le débat qui avait déjà été lancé par Lionel Jospin, et pas par hasard, en 1997. Sans être complotiste, on peut s’interroger sur ce retour à l’approche du centenaire du déclenchement de la « très Grande Guerre ».
Or cette thèse, tous les historiens sérieux le savent, ne tient pas. Il y avait à cette époque un consentement à la guerre. Les mutineries de 1917, n’étaient pas dirigées contre la guerre elle-même, mais contre un commandement incompétent. Elles ont été fort peu nombreuses. Et il ne semble pas que ce soit l’extrême gauche qui ait remporté les élections législatives qui amenèrent, à la fin de la guerre, une chambre bleu horizon à l’Assemblée Nationale.
Le courant ultrapacifiste, ensuite, auquel se rattache Jacques Tardi, a eu un rôle non négligeable entre les deux guerres. Au nom du refus de la guerre, il a soutenu toutes les capitulations, toutes les lâchetés et tous les renoncements devant Hitler qui ont conduit à la Seconde guerre mondiale. Après la catastrophe de 40, ses représentants se sont rangés en deux catégories .Ceux qui ont fait preuve d’une totale passivité comme Brassens qui partit au STO construire des moteurs d’avions militaires en Allemagne, sans faire d’histoire. Et ceux dont l’attitude fut très ambiguë (le père de Lionel Jospin par exemple) et qui pour certains finirent dans la pire des collaborations. On peut adorer le chanteur Georges Brassens, mais détester sa chanson Les deux oncles qui renvoie dos à dos les Anglais et les nazis, et met un signe d’égalité entre les résistants et les collabos. Daniel Cordier et François Jacob, partis à Londres, à 20 ans, à l’été 1940, ont, eux accepté la Légion d’honneur. Et aussi, au passage, le titre de « Compagnon de la libération».
L’un de ces rebelles est décédé à l’automne dernier, à l’âge de 92 ans. Il s’appelait Roland de la Poype. Parti à 19 ans en juin 1940 rejoindre les Français libres. Pilote de chasse, il fit la bataille d’Angleterre et fut l’un des premiers volontaires à partir en Union soviétique avec une escadrille qui allait devenir celle de Normandie Niemen. Ses obsèques ont eu lieu dans la cour des Invalides le 30 octobre dernier. Le gouvernement français n’avait pas jugé bon de se faire représenter. Le gouvernement russe y avait, lui, délégué un représentant accompagné des chœurs de l’Armée Rouge.
Roland de la Poype avait accepté la Légion d’honneur. Et le titre de « Héros de l’Union Soviétique » aussi.
*Photo : yannick_vernet.
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