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Patrons à l’honneur


Patrons à l’honneur

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Dans l’habituelle promotion de la légion d’honneur du 1er janvier, on aura surtout retenu le nom de Jacques Tardi pour une raison bien simple, c’est qu’il l’a refusée.

Aurélie Filippetti a certainement cru faire plaisir à un des dessinateurs français les plus connus, créateur d’Adèle Blanc-Sec, héroïne féministe de la Belle-Epoque. Après tout, notre ministre de la culture, fille d’un sidérurgiste lorrain sur lequel jadis, elle avait écrit un beau roman, Les derniers jours de la classe ouvrière (Stock) et qui a battu aux dernières législatives le candidat de droite dans la circonscription historique des Wendel, doit être encore persuadée, malgré Florange, qu’elle siège dans un gouvernement de gauche. Mais Jacques Tardi, viscéralement pacifiste et libertaire, s’est aussi beaucoup penché sur le carnage de la guerre de 14 ou encore, avec  Jean Vautrin comme scénariste, sur l’histoire de la Commune dans Le Cri du Peuple. Et Aurélie Filippetti a sans doute sous-estimé ce qu’un artiste comme lui peut vraiment penser de notre monde tel qu’il ne va pas.

Tardi met fin en même temps à la légende consistant à dire qu’il faudrait directement demander la légion d’honneur pour avoir une chance de l’obtenir. Non, en fait, des excellences haut placées peuvent simplement vouloir vous faire plaisir, en jouant sur la fierté qu’il y aurait à recevoir ce plus célèbre des hochets de la vanité, créé par Napoléon 1er. Vous faire plaisir, ou plus subtilement, vous rendre reconnaissants car on sait bien depuis La Rochefoucauld que les consciences les plus pures se laissent parfois dévorer par l’amour-propre.

Avec Tardi, pour le coup, c’est raté : « Je n’ai cessé de brocarder les institutions. Le jour où l’on reconnaîtra les prisonniers de guerre, les fusillés pour l’exemple, ce sera peut-être autre chose ». Tardi est d’ailleurs toujours marié avec Dominique Grange, ancienne chanteur yéyé devenue dans les années 60, l’égérie du mouvement mao et auteure en 69 de ce qui fut l’hymne de la Gauche Prolétarienne, le groupe qui fut le plus violemment engagé dans les années de poudre du gauchisme. D’ailleurs, les paroles de Dominique Grange ne laissaient aucune ambiguïté  et on pense que ce doit pas être le morceau préféré du Medef pas plus que de la ministre Fleur Pellerin qui, d’après ses récentes déclarations, est non seulement chargée de l’économie numérique mais aussi de l’éradication de la lutte des classes dans les PME : « Vous comptez vos profits, on compte nos mutilés/Regardez nous vieillir au rythme des cadences/Patrons regardez nous, c’est la guerre qui commence/ Nous sommes les nouveaux partisans/ Francs-tireurs de la guerre de classe/ Le camp de peuple est notre camp/ Nous sommes les nouveaux partisans »

En revanche, cette même promotion devrait rassurer, voire consoler le monde des affaires et le patronat, si sensible ces temps-ci à la chasse aux riches. Parmi les heureux récipiendaires, on compte ainsi le président de Casino, Jean-Charles Naouri, dont la filiale logistique Eaysidis était en grève à Noël pour les conditions de travail et l’augmentation des salaires. On retrouve aussi le célèbre Pascal Lamy, directeur général de l’OMC et un des principaux théoriciens de l’Europe austéritaire mais qui pourrait bien, à la fin prochaine de son mandat, succéder à Jérôme Cahuzac,  actuel ministre de budget, un peu ennuyé par les rumeurs sur son éventuel compte en Suisse.

On citera également, mais la liste n’est pas close, l’ancien PDG de Renault Louis Schweitzer, qui a laissé il y a quelques années un beau souvenir chez les ouvriers belges en fermant du jour au lendemain Vilvoorde, un important site de production pour des raisons de pure rentabilité financière. Quant aux plus anciens d’entre nous, ils seront heureux de savoir qu’Yvon Gattaz,  patron des patrons à l’époque où le Medef s’appelait encore le CNPF, a été élevé  à la dignité de Grand-Croix.

C’est tout de même étonnant, quand on y songe, qu’aucun d’entre eux, comme Tardi, n’ait refusé d’être décoré par ce gouvernement bolchévique qui déteste tellement les riches et les chasse jusqu’en Russie poutinienne, là où ils peuvent choisir la liberté, de l’autre côté du Mur de la dictature fiscale. En même temps, si on additionne le nombre de licenciements dont tout ce petit monde est responsable directement ou indirectement, c’est peut-être cela le critère décisif pour obtenir le fameux petit ruban rouge.

Ce que semblerait confirmer un autre refus, moins médiatique, qui date de l’été 2012 celui de la chercheuse Annie Thébaud-Mony, spécialiste des cancers professionnels, qui avait écrit à Cécile Duflot pour dénoncer l’«indifférence» qui touche la santé au travail et l’impunité des «crimes industriels». Du coup, on pourrait peut-être suggérer à Tardi, qui vient de publier un album sur son père prisonnier lors de la seconde guerre mondiale, de se rapprocher d’Annie Thébaud-Mony. Ça ferait une belle BD en perspective. Avec plein de taches rouges.



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