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Tarantino: il était une fois l’Amérique

1969, dernier inventaire avant liquidation


Tarantino: il était une fois l’Amérique
© 2019 Sony Pictures Entertainment France

C’est au tour de l’écrivain amateur de dérapages incontrôlés Thomas Morales de nous donner son avis sur le dernier film de Tarantino.


Quand les intellectuels analysent le cinéma, ils mettent toujours leur névrose et leurs lacunes dans la balance. Leurs comptes rendus tiennent plus du jugement que de la critique éclairée. Le débat les agite plus que les mouvements de la caméra. Ils sont imperméables au divertissement. Pur. Bagarreur et charmeur. Lumineux et tendre. Au plaisir simplement adolescent de passer un après-midi avec des filles en mini-jupes, au milieu de bastons picaresques et d’enchaîner les dérapages contrôlés au-dessus de L.A.

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Donnez-moi un cheval mustang, un gros ceinturon et des Ray-Ban fumées, je serai le plus heureux des hommes. Ces gens-là cherchent le sens caché et débusquent les arrière-pensées du réalisateur. Ces fouineurs de l’inconscient se vivent comme des justiciers subliminaux. Ils pensent toujours trop haut et visent souvent à côté de la cible. Ces piètres cowboys de la plume ont perdu leur innocence gamine. Il faut aller au cinéma, vierge de toutes représentations, se laisser happer par le spectacle, croire le faux pour s’échapper juste quelques minutes des mains de nos bourreaux. S’extraire d’une réalité patibulaire, un instant seulement. Le temps de respirer et d’oublier la vacuité du quotidien. Car dehors, les affreux rôdent, la laideur s’étale partout un peu plus chaque jour, seul l’imaginaire nous raccroche à la vie. Alors que l’on ne vienne pas gâcher ma séance avec un fatras de constructions plus ou moins bancales ! Les babyboomers inconséquents et ahuris me comprennent. Ils ont gardé une capacité intacte à s’émouvoir devant la société de consommation, celle d’avant, elle était tellement désirable et inutile. Il y avait quelque chose de naïf dans le capitalisme triomphant d’avant les crises pétrolifères, une attitude un peu absurde et bravache face aux événements. L’espoir vibrait même dans les cœurs les plus secs.

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Le dernier Tarantino n’a pas échappé à un déluge de commentaires philosophico-narcissiques aussi dérangeants que les « mea culpa » médiatiques. Certains y ont vu une dénonciation du système hollywoodien, les ravages de la célébrité forcément éphémère, d’autres les ferments d’une nostalgie sous-jacente et même une apologie du mâle blanc vindicatif. Et si on arrêtait d’idéologiser et de profiter des images qui cascadent sur l’écran. Je m’en abreuve jusqu’à plus soif. Bien sûr, nous pourrions discuter de la faiblesse ou non du scénario, des raccourcis et de certaines pesanteurs ou bien des trucs de mise en scène. Mais enfin, le spectateur, nous tous réunis, pas le spécialiste, l’homme de la rue ne peut nier que cette fabuleuse cavalcade a des effets euphorisants. Appelez-ça comme vous voudrez, facilité, clientélisme, sirop délectable d’une Amérique pleine de contradictions et de bonbons mercantiles. Barbe à papa dont on se pourlèche les babines. J’ai été biberonné à cette mythologie-là. Pardonnez-moi. La mondialisation aime le repentir et la flagellation. J’aime les moteurs V8 à essence qui glougloute et les blousons en cuir burinés. En sortant de la salle, j’avais une envie folle de me déguiser. Comme si cette publicité extralarge Ralph Lauren pour l’été 69 facétieuse et assez maline irriguait mon cerveau acheteur. Tarantino sait tout filmer. Les corps dans leur expression la plus stricte, une époque d’avant les bistouris magiques et les anabolisants. Pas de faux pectoraux et de boobs à l’hélium. Et puis ce soleil californien qui brûle et fascine par son côté ambivalent, destructeur et tentateur à la fois.

Pour vous inciter à aller voir « Once Upon a Time …in Hollywood », je ne vous parlerais pas du jeu des acteurs, ce serait leur faire offense. Ils sont au sommet. Pitt est phénoménal, DiCaprio dantesque et Margot Robbie Platinum. À la Prévert, j’égrènerai des sésames pour que vous vous retrouviez propulsés sur la Côte Ouest à la fin des années 60 : un tee-shirt à l’effigie d’une marque de bougies, des mocassins d’indiens, des « Flying Jacket » de la Seconde guerre de Type A2, un coupé Cad jaune poussin, une 911 noire corbeau, une Karmann Ghia délavée, une p’tite MG comme la chantait Richard Anthony, une Mercury Cougar très féline, une chemise hawaïenne, une Mansion avec des Bunnies, des Pool Parties, des cocktails vintage, un Boeing de la Pan Am, etc.. L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir et je l’aurai prophétisait Joe Dassin et bien, avec Quentin, je l’ai vue de mes yeux !

Once Upon a Time…in Hollywood de Quentin Tarantino (actuellement au cinéma)

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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