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Le coup du lapin


Le coup du lapin
©Jean-Claude LOTHER

La Grande Magie, de Noémie Lvovsky, au cinéma le 8 février.


Il faut être absolument fantaisiste, semble dire le cinéma français en ce début d’année et de retour des spectateurs dans les salles obscures. Avec évidemment plus ou moins de bonheur…

Le cinématographe est né en 1895 d’illusionnistes qui se prenaient les uns pour des industriels (les frères Lumière), les autres pour des artistes (Méliès en tête). « De l’art et des gens » donc, comme aurait dit Cocteau : de l’argent dans tous ses états, du commerce qui peut rapporter et une magie qui laisse émerveillée. Depuis lors, le septième art n’en finit pas de marcher sur ces deux jambes-là, oscillant sans cesse entre la rentabilité et le plaisir, la jouissance du box-office et la réjouissance du divertissement. Le nouveau film de Noémie Lvovsky s’inscrit dans ce mouvement, même s’il ne peut prétendre aux recettes phénoménales d’Avatar 2. Mais qui pourrait sérieusement le lui reprocher ? Là où James Cameron déploie ses lémuriens déguisés en grands Schtroumpfs, Lvovsky, bien plus modestement, adapte au cinéma les couleurs bigarrées de l’univers du grand dramaturge italien Eduardo de Filippo. Créée en 1948, La Grande Magie est l’une des plus importantes œuvres du dramaturge et cinéaste transalpin. L’illusion y côtoie la réalité autant que l’humour et la transgression. Tout commence quand le magicien Otto, au cours d’une représentation, fait disparaître la femme de Calogero à la demande de son amant afin qu’ils s’enfuient ensemble. Tandis que quatre années se sont écoulées, l’illusionniste a persuadé le cocu que le temps écoulé n’est que celui de la représentation théâtrale et que son épouse se trouve enfermée dans un coffret qu’il peut ouvrir, dès qu’il sera certain qu’elle s’y trouve. Marquons un temps d’arrêt pour indiquer qu’un certain Emmanuel Demarcy-Mota, metteur en scène et directeur du Théâtre de la Ville à Paris, s’est récemment cru autorisé à confier le rôle de Calogero à une actrice et partant de là à inverser les rôles de l’amant, de la femme et du mari. Puissance de la pensée moderne dont le texte de justification commence par : « Dans la version écrite par Eduardo de Filippo, Calogero est un homme. » Et pourtant non : une pièce originelle n’est pas une simple « version », et oui Calogero est un prénom décidément masculin. Les faits sont toujours têtus. On tremble littéralement à l’idée que ce monsieur pourrait prochainement nous donner à voir La Bourgeoise gentille femme, La Nuit des reines, Othella, Cyrana de Bergerac et Cette folle de Platovna.

Revenons plutôt au délicieux film de Noémie Lvovsky qui nous donne sa version de la pièce originelle sans chercher à lui faire dire le contraire de son propos… On y croise d’abord un casting d’une grande intelligence où se mêlent Denis Podalydès, Sergi Lopez, François Morel, Judith Chemla, Damien Bonnard, Micha Lescot et Laurent Stocker, entre autres et sans oublier la réalisatrice elle-même dont la folie douce fait ici des merveilles. On retrouve ici la veine du réalisme poétique chère au tandem Carné-Prévert : Drôle de drame n’est pas très loin, comme les films réalisés par Bruno Podalydès. Arthur Teboul et son groupe Feu ! Chatterton sont eux à la manœuvre côté musique et chansons, et cela contribue aussi à la réussite du film. Car, c’est bien connu, le merveilleux est musical… Rien ne vient enrayer la fluidité narrative qui rend parfaitement compte de la temporalité « gazeuse » voulue par De Filippo. Si la grande magie opère à tous les sens du terme, c’est bien en raison de cette fidélité à la pièce, librement mais respectueusement adaptée. Du côté du Théâtre de la Ville, on serait bien inspiré de suivre une telle démarche. Non par une sorte de dévotion confite, mais par l’application d’une solide conviction : la pièce vaut plus que toutes ses « versions ». Du reste, pourquoi l’adapter si on ne croit pas en elle et en ses vertus profondément divertissantes ? Noémie Lvovsky a l’intelligence profonde de se mettre dans les pas de De Filippo, elle ne fait pas la maline, elle ne cherche pas l’effet facile du clin d’œil moderne. Si on est sous le charme de ce film, c’est parce qu’il y règne comme un parfum de douce absurdité et d’allègre désespoir. La chanson finale qui est une reprise qu’on dirait écrite tout exprès met parfaitement en valeur cette double dimension paradoxale. Dans un tour de magie, on attend toujours l’échec et c’est sa réussite qui peut décevoir. La Grande Magie nous dit ceci à la perfection : il est de magnifiques naufrages qui incitent à reprendre la mer.

Février 2023 – Causeur #109

Article extrait du Magazine Causeur




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Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

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