Avait-on vraiment besoin d’un énième film sur Napoléon ? La réponse est dans la question. Pendant ce temps, le cinéma français s’égare en banlieue et retrouve ses moyens sur une île déserte.
Napoléon en petit
Napoléon, de Ridley Scott, sorti depuis le 22 novembre.
Avec tambours et trompettes : la sortie du nouveau film du cinéaste britannique Ridley Scott a pris des allures d’événement national. L’empereur allait enfin avoir un film à sa mesure. Gance et Guitry, entre 1 000 autres prédécesseurs à travers le monde, n’avaient qu’à bien se tenir. Or, il suffit des premières minutes de ce Napoléon pour déchanter définitivement. Dans la première scène, filmée de façon absolument hystérique et grotesque, Bonaparte assiste à la décapitation de Marie-Antoinette. Ce jour-là, ledit Bonaparte, loin d’être à Paris, faisait le siège de Toulon. À ce compte-là, on pourrait aussi commencer un biopic sur de Gaulle en le montrant votant ou non les pleins pouvoirs à Pétain… Immédiatement après se déroule sous nos yeux ébahis l’arrestation de Robespierre : un casting très approximatif fait ressembler l’Incorruptible à Mirabeau ou à Danton côté corpulence. Quant à la tentative de suicide à laquelle il se livre ensuite, sa vraisemblance historique est contestée par les historiens sérieux.
On a beau être indulgent, cette accumulation de bévues laisse pantois. Et tout le reste du film est à l’avenant. Jusqu’à ce que le futur empereur fasse canonner les pyramides d’Égypte, alors même que son expédition militaire comportait, comme on le sait, une incroyable dimension scientifique et patrimoniale. On a vite l’impression de feuilleter un journal britannique écrit sous Napoléon dans lequel la « Perfide Albion » ne cesse de se venger en faisant courir ragots et malveillances. Tout ce qui est excessif est insignifiant : à trop charger sa barque polémique, Ridley Scott en vient à braquer son spectateur. Rien réellement sur les aspects politiques, économiques, sociaux et culturels notamment de l’« épisode napoléonien » selon l’expression de Jean Tulard. Rien sur l’héritage révolutionnaire. Rien sur l’émergence d’une Nation qui se retrouve encore dans la France de 2023 sous bien des aspects. Rien et même moins que rien sur l’époque elle-même. Le Napoléon de Guitry était bien plus politique, c’est tout dire.
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On assiste gêné à la représentation d’un comédien, Joaquin Phoenix, qui a l’air de terriblement s’ennuyer tout au long du film, promenant sa mauvaise humeur manifeste de sa chambre à coucher aux champs de bataille. Et un acteur notoirement beaucoup trop âgé pour tenir le rôle et pas seulement celui du jeune Bonaparte, mais également celui de l’Empereur. En en faisant autre chose qu’un jeune homme dévoré d’ambition, le film rate une nouvelle fois sa cible. Le tout en langue anglaise, ce qui se conçoit évidemment, mais qui dans le cas présent deviendrait presque comique : faire parler anglais cet empereur qui toute sa vie n’a rêvé que d’envahir l’Angleterre en allant jusqu’à faire concevoir un tunnel sous la Manche, relève à bien y réfléchir d’un pari tout à la fois douteux et audacieux. Mieux vaudrait peut-être, et pour une fois, préférer la version doublée ! Mais on imagine que cet aspect a beaucoup amusé le réalisateur, trop content de parfaire ainsi une œuvre tout entière centrée sur la déconstruction d’un mythe. Et de ce point de vue, Ridley Scott va bien au-delà du raisonnable et de l’acceptable en faisant du personnage de Joséphine de Beauharnais une figure féministe et quasi matriarcale. La prochaine fois ce sera mon tour, dit en substance ce personnage dans un anachronisme total et déplacé. Napoléon devient alors une sorte de petit garçon dominé par sa mère et dirigé par son épouse. Il n’existe réellement que par elles et, si l’on en croit le film, son histoire et son destin tiendraient seulement par ces deux femmes-là. Qu’une telle psychologie de bazar s’étale ainsi du tout début jusqu’à la toute fin du film ne cesse d’étonner.
La banlieue en clichés
Bâtiment 5, de Ladj Ly, sortie le 6 décembre
Depuis l’impayable Haine de Mathieu Kassovitz, le film de banlieue fait florès dans le cinéma français. Après Avant que les flammes ne s’éteignent, sorti en novembre, il nous faut subir le nouvel opus du cinéaste Ladj Ly, dont Les Misérables avait déjà fait se pâmer d’aise les élites germanopratines toujours promptes à défendre Montfermeil, dès lors qu’il ne s’agit pas d’y vivre au quotidien. Les violences policières, les problèmes de logement et la duplicité des politiques sont bien évidemment au centre d’un film qui ne s’embarrasse ni de subtilités ni de complexité. Les clichés surabondent, comme s’il s’agissait de jouer avec le feu d’un contexte social toujours explosif. Ladj Ly s’embourbe dans des dénonciations plus naïves que vertueuses et son portrait politique vire trop souvent à la caricature.
L’amour en grand
Soudain seuls, de Thomas Bidegain, sortie le 6 décembre
Une vraie bonne surprise : c’est ainsi que l’on a envie d’accueillir le nouveau film du scénariste (complice habituel de Jacques Audiard) et cinéaste Thomas Bidegain. Chaussant les bottes du film de genre (un « survival », selon les canons hollywoodiens), l’auteur ne s’en laisse cependant pas conter et dépasse de très loin le programme habituel. Bien plus qu’une leçon de savoir-vivre et résister en milieu hostile, le film centre son propos sur les deux personnages d’un scénario tricoté de main de maître. Incarnés à la perfection par Mélanie Thierry et Gilles Lellouche (à son meilleur), ils traversent ici la crise des crises. Seuls sur une île déserte et sauvage non loin des côtes antarctiques, alors que l’hiver approche, ils affrontent avec courage l’épreuve physique autant que psychologique. Délaissant le sensationnel ou le glauque, Bidegain place dans une situation extrême l’économie d’un couple et c’est tout simplement fascinant.