Cher (e)s ami(e)s, sauf votre respect, m’est avis que vous êtes, depuis quelques années, sur une mauvaise pente : celle de l’institutionnalisation bourgeoise. Après avoir acquis de haute lutte le droit à la différence, vous exigez désormais le droit à la ressemblance… Et ressemblance à quoi, je vous le donne en mille ? Au couple hétéro dans ce qu’il a de moins fantaisiste, c’est-à-dire le moins gay qui soit : le conformisme bourgeois louis-philippard. Fabrice Emaër doit se retourner dans sa tombe – sans parler d’Oscar Wilde…
Le mariage – civil et religieux – connaît depuis vingt ans la crise que l’on sait. En région parisienne, un couple hétéro sur deux est appelé à divorcer dans les meilleurs délais (2-3 ans maxi). De Saint-Germain-des-Prés à la Bastille, la famille monoparentale, ou redécomposée, ringardise chaque jour un peu plus le vieux modèle du papa, de la maman et des nains-habillés-pareil.
Et c’est le moment que choisissent les associations LGBT pour revendiquer le droit au mariage de (grand) papa ! Pas question pour elles d’aménager le PACS dans ses modalités patrimoniales et successorales, comme le réclament les homomodérés (si je peux me permettre ce néologisme). Non, Monsieur LG et Madame BT veulent à toute force passer devant Monsieur ou Madame le Maire, se mettre la bague au doigt, s’embrasser sous les applaudissements émus et devant la caméra DVix embuée, prendre du riz plein la gueule, klaxonner dans des limousines à tulle blanc, signer un contrat de mariage, s’imposer des belles-mères et se jurer fidélité… On croit rêver !
Il y a là, risquons le mot, une inversion de la « gay attitude » apparue à Paris dans les années 70/80, toute de fun et de provocation ironiques face à la dictature de la normalité. En une vingtaine d’années d’années, cette contre-culture gay a essaimé dans toute la France, libérant enfin des centaines de milliers de « tarlouzes » de Lons-le-Saulnier, contraintes depuis des siècles au placard…
Dès lors les intellectuels organiques de la gayitude, privés de leur principale revendication, n’ont eu d’autre choix pour préserver leur magistère que d’exiger le contraire ! Fini l’hédonisme désinvolte et libertaire ; place à la revendication « mimétique » (encore René Girard !). A partir de dorénavant, qu’on se le dise, les homos veulent être des hétéros comme les autres ! Il est « décontrastant », comme disait Garcimore, de voir des gens aussi ontologiquement insoumis que les gays basculer soudain, sous prétexte de militantisme, dans une quête absurde et furieuse de « normalisation ».
On peut être « gay-friendly », ou gay tout court, sans tomber dans ce panneau géant : vouloir « se marier et avoir beaucoup d’enfants », rien que pour faire chier Christine Boutin ! De mon temps, ça s’appelait : vouloir à la fois le beurre, l’argent du beurre, les faveurs de la crémière et le sourire du crémier (ou le contraire).
Le PACS pour lequel ils se sont tant battus apparaît aujourd’hui aux fondamentalistes gays comme un vulgaire aspartame, comparé au sucre délicieux du mariage tradi. Cette soif de ressemblance me paraît infiniment étrange.
L’ »orientation sexuelle », comme on dit en p.c., ne se résume pas à la sélection de partenaires en fonction de leurs attributs physiques. L’homosexualité, pour prendre un exemple au hasard, est aussi une autre vision du monde et de soi-même : un point-de-vue, un belvédère ! Peut-on admirer simultanément la vallée des deux côtés de la montagne ?
L’aspiration à l’adoption d’enfants relève de la même revendication monthy-pythonesque d’hétérosexualisation de l’homosexualité. A t-on pris garde au fait que ce casting (2 papas, ou 2 mamans, ou 2 sans-opinion) met à mal non seulement le brushing de Boutin, mais le complexe d’Œdipe, fondement de l’analyse freudienne : quel père tuer, même symboliquement – et pour épouser quelle mère ?
Et puis il y a l’hypersexualité gay qui, sans me vanter, est attestée par toutes les statistiques (sortez les vôtres, bandes de glands !) Est-elle bien compatible avec la pa (ma) ternité ? Paul et Jean-Paul auront-ils encore le temps de courir les saunas et les backrooms quand il leur faudra langer, changer, faire manger puis éduquer leur bébé-éprouvette ou leur petit Viet’ ? Imagine-t-on Freddie Mercury en train de pouponner ?
Il n’est pas jusqu’à l’ordination sacerdotale qui ne soit aujourd’hui revendiquée comme un droit par les homosexuels – après les femmes et en attendant l’intergroupe. Voir le hourvari provoqué par Benoît XVI rappelant le refus permanent et universel de l’Eglise d’ordonner ès qualités des prêtres homosexuels. Mais qui est contraint d’être catholique ?
Eh bien quand le psy-catho Tony Anatrella, qui n’a pas un métier facile, explique ce refus, il invoque trois raisons dont on peut penser ce qu’on veut, sauf qu’elles sont purement sexuelles : « l’immaturité, le narcissisme, le refus de l’autorité ». Beaucoup d’hétéros pourraient se reconnaître dans ce portrait-robot ! Mais depuis quand, tabernacle, tout le monde aurait-il vocation au sacerdoce ?
Autre écueil sur lequel sont en train de se fracasser certains de nos zamiguets : l’esprit de sérieux – c’est-à-dire, pour faire court, le contraire du sérieux. Il est symbolisé par la syndicalisation de la communauté gay, avec son redoutable cortège de doléances et de lamentations tous azimuts.
D’une manière significative, l’ex-Gay Pride a été rebaptisée « Marche des Fiertés Lesbienne, Gay, Bi et Trans » (j’espère qu’ils n’ont oublié personne, cette fois !) Il s’agit désormais d’une sorte de défilé du 1er mai, avec son rituel de banderoles contestataires, de slogans virulents et même parfois d’outings sauvages qui ressemblent à des scalps.
Au moins les vrais défilés syndicaux sont-ils parfois égayés, si j’ose dire, par des incidents de fin de cortège et des charges de CRS… Rien de tel dans les manifs d’homos conscients-et-organisés. A croire qu’ils seraient négligés même par les « autonomes » et autres casseurs… N’est-ce pas à désespérer ?
Je me souviens des premières Gay Prides, au début des années 80. Il y avait dans ces « happenings » cent fois moins de monde, cent fois plus de droits à revendiquer et mille fois plus de gaieté ! On baignait dans une atmosphère ludique et spontanée qui, semble-t-il, a fini étouffée par la cégétisation des militants gays.
Pourquoi ne pas retrouver cet esprit-là, capable de séduire, au-delà des ghettos, tous ceux qui préfèrent l’école buissonnière aux cours magistraux ? A quand un programme commun des rebelles qui souhaitent le rester ? Là en tout cas, « j’en serais », comme on disait du temps de Fernandel.
P.S. : Merci à tous ceux qui ont lu mon papier sur René Girard et en ont profité pour s’empailler sur Causeur. Le niveau des échanges m’a paru agréablement élevé.
Mais on ne se refait pas : plutôt que de commenter vos commentaires, ça m’a encouragé à vous prendre par un autre bout… J’en attends au moins autant de cris, et de chuchotements.
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