La plupart des mortels font deux erreurs majeures au sujet du diable. D’abord, ils ne croient pas en son existence, ce qui, sachez-le, est son astuce suprême, car, qui croit en lui, croit en l’Autre… et à ce jeu-là il est sûr de perdre. La deuxième consiste à penser qu’il a l’allure, au choix, d’un vieux bouc, fourchu, cornu, puant, d’une jeune adolescente scarifiée aux yeux rouges ou de Lord Voldemort.
La pièce Tactique du diable, adaptée de l’œuvre de C.S Lewis par Michel-Olivier Michel et jouée à l’espace Bernanos jusqu’au 24 mai, ne tombe pas dans ces travers dignes du premier premier communiant venu. L’adaptation sur scène des « lettres d’un vétéran de la tentation à un novice » imaginées par l’écrivain n’est donc pas seulement une réussite dramaturgique, c’est une parfaite leçon de catéchisme, joyeuse et incarnée.
Car le diable existe. On le rencontre, au gré des romans, chez Boulgakov, sous les traits d’un magicien farceur ou chez Bernanos sous ceux d’un maquignon jovial. Chez Lewis, c’est tout sauf un clown. C’est le plus « beau des anges ». Il est froid, distant, calculateur. Mais tellement séduisant. Un dandy arrogant qui donne des cours de tentation à un diablotin fraîchement émoulu du Collège de formation, dont la mission est de faire basculer une âme du coté obscur de la force.
L’auteur du Monde de Narnia est plus connu pour ses romans d’heroic fantasy que pour son œuvre théologique. Sous l’influence de son ami Tolkien et à la lecture de Chesterton, il se convertit au christianisme en 1929. « Surpris par la joie » -c’est ainsi qu’il a titré son autobiographie- il se fera dès lors l’apologiste infatigable de la religion qu’il a embrassé. Mais foin d’un catéchisme rasoir et austère, la joie sera au cœur de ce christianisme incarné, empirique et tout chestertonien. Une joie que savent nous faire partager les quatre comédiens. Accompagnés magistralement d’un pianiste qui alterne jazz et cartoon et donne à la pièce tantôt l’ambiance d’un cabaret, tantôt celle d’une église, ils nous emmènent au fond de l’âme humaine en toute légèreté.
La description de la casuistique démoniaque est moins là pour nous apprendre à lui résister que pour nous faire découvrir la richesse et la profondeur de la théologie chrétienne. À son apprenti qui se croit habile de proposer la tentation sexuelle pour détourner sa proie de « l’Ennemi », le maître tentateur répond en ricanant : « N’oublie pas qu’il fut créé par l’Ennemi, le sexe, pour sa plus grande gloire ! ». Et les plaisirs ? Idem : « C’est lui qui l’a inventé le plaisir, non pas nous. Il est à l’origine de tous les plaisirs ; malgré toutes nos recherches nous n’avons pas su en produire un seul ! »
Sagesse de la chair. Perversité de l’esprit. C’est par l’intelligence et l’imagination bien plus que par les sens que le doute pénètre le cœur. Les perversions brusques ne sont pas les plus efficaces, et il faut travailler l’âme jusqu’à ce qu’elle tombe comme un fruit mur.
De professeur de tentation, le Malin finit par se faire catéchiste, l’exposition des méthodes lucifériennes devenant le prétexte du dévoilement de la stratégie de celui d’en haut. « Mais il les aime vraiment ? » demande le diablotin, tentateur tenté de déserter pour le camp des anges. Screwtape finira par lâcher le morceau et dire le secret qui vit Satan tomber comme l’éclair : « Oui il les aime vraiment et pour leur apprendre à l’aimer librement, à marcher vers lui, à voler de leurs propres ailes, il doit retirer sa main. »
Incompréhensible folie de l’amour. Pour les hommes, le diable a une tactique là où Dieu a un plan.
Tactique du diable, d’après le roman de C.S Lewis. Mise en scène de Michel-Olivier Michel. Du 8 au 24 mai les jeudis, vendredis, samedis à 20h30, à l’espace Bernanos.
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