On l’a connu ministre de l’Education nationale de Sarkozy, se dandinant sur le lipdub de l’UMP. On l’a vu chahuté sur le plateau du Grand Journal, grand-messe bobo des années 2010. Mais Xavier Darcos est d’abord un agrégé de lettres classiques, et depuis 2013, un académicien ! Dans Tacite, ses vérités sont les nôtres (Les Belles Lettres), il revient pour nous aux temps troublés des deux premiers siècles, non sans dresser quelques ponts avec notre époque.
Tibère. Caligula. Claude. Néron. Trajan. Ce sont les principaux empereurs qui se succèdent du vivant de Tacite (58-120 ap JC), personnages au cœur des Annales et des Histoires. Ils ont laissé à la postérité des réputations plus ou moins flatteuses.
« Vers la fin du Ier siècle, l’historien latin s’interroge sur le destin du monde. Il fait la revue des mœurs collectives et des caractères privés, révèle les calculs et les manœuvres des acteurs politiques, décrit la folie contagieuse, provoquée par la volonté de puissance, tout en se souvenant d’une cause déjà perdue : l’idéal républicain » de Rome. Car la République, malgré son expansion méditerranéenne (ou peut-être à cause d’elle), n’a guère survécu aux luttes intestines entre les factions. Le nouveau régime monarchique a été instauré par Auguste, au prix d’un sévère recul de la classe sénatoriale, à laquelle appartient Tacite. Ce dernier trouve un refuge dans le stoïcisme et l’écriture de l’histoire. L’Empire n’a pourtant pas totalement restauré la paix civile. Pour la seule année 69, quatre empereurs se succèdent.
Tacite ethnologue
L’historien observe le délitement en cours avec une truculence laconique. Au sujet de Galba, éphémère empereur romain, Tacite écrit : « … exempt de vices plutôt que doué de vertus, il était jugé par tous comme capable de gouverner l’empire, s’il n’avait pas été empereur ». Tacite est aussi, en quelque sorte, avec son ouvrage sur la Germanie, l’inventeur de l’ethnologie. Chez les Barbares primaires, Tacite retrouve malgré tous les vertus et la frugalité de la Rome des origines. Mais à Rome, les airs graves des statues de la période précédente, les « vieux bougons rouspéteurs » ont laissé place à la décontraction morale, au « luxe grec et oriental » et aux meurtres sordides… Pour décrire l’horreur, Tacite recourt à l’humour noir, remède puissant en temps troublés.
Xavier Darcos nous dit que, « de toute façon, les comparaisons avec les problèmes que nous connaissons aujourd’hui sont hasardeuses » et en même temps, les va-et-vient avec le temps présent sont un peu la promesse du titre du livre.
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Bien sûr, quand on lit que Caligula nomme son cheval consul, qu’Agrippine, seconde épouse de Claude, assassine la famille impériale à coup de plats de champignons empoisonnés, que Néron, déguisé en canaille, descend la nuit tombée pour molester les passants, à la manière d’un Alex DeLarge, on se dit que nos mœurs politiques sont plus tranquilles – au moins en Occident.
L’air de rien…
Pourtant, au détour d’une phrase, Xavier Darcos exprime des opinions plutôt décapantes sur notre époque. En fait, l’ancien ministre fait partie des gens bien élevés et cultivés qui, tout en commentant des textes latins du Ier siècle, expriment l’air de rien des points de vue politiquement peu corrects.
Sur les vagues migratoires germaniques qui s’installent le long du limes, et qui finiront quelques siècles plus tard par faire effondrer le régime romain, Darcos écrit : « L’arrivée massive d’un prolétariat immigré, chassé de chez lui par la misère, n’implique pas automatiquement un apport culturel ou un enrichissement intellectuel ». Suivez mon regard.
Sur la langue, défendue par Tacite, il lâche carrément : « Il n’est donc pas nécessaire de s’extasier, comme s’il s’agissait de salutaires îlots de résistance, devant les écarts de langage, tels argots grossiers, verlans, sabirs des banlieues, slams, charabias, ni de se pencher avec révérences sur les borborygmes agressifs des rappeurs ».
Monsieur Darcos passera sans doute un excellent moment quand Aya Nakamura reprendra les chansons Edith Piaf lors des JO l’été prochain.
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