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Ta gueule, Verhofstadt !


Guy Verhofstadt (photo Parlement européen, flickr.com).
Guy Verhofstadt (photo Parlement européen, flickr.com).

Je ne me serais pas permis d’apostropher aussi cavalièrement Guy Verhofstadt, président du groupe libéral au Parlement européen, si je n’avais pas regardé la vidéo (voir ci-dessous) du discours de Dany Cohn-Bendit lors du vote sur la validation de la nouvelle commission Barroso par le parlement de Strasbourg. Verhoftstadt, celui qui a une tête de grand Duduche à la Cabu, n’a pas l’air de s’offusquer lorsque Dany essaie de faire taire d’un « Ta gueule ! » sonore son collègue socialiste allemand Martin Schulz, qui ne cesse de l’interrompre dans sa péroraison. Et puis, j’ai appris à connaître suffisamment les Flamands lors d’un long séjour à Bruxelles au début de ce siècle pour savoir qu’ils préfèrent qu’on leur dise sans détour ce qu’on a sur la patate (à frites), plutôt que de tourner autour du pot.

Guy Verhofstadt, donc, ancien premier ministre du royaume de Belgique, originaire de Gand et membre du parti Flamand Open-VLD (libéral, centre-droit laïc) a commis, jeudi 11 septembre, un article dans Le Monde sobrement intitulé « Il y a quelque chose de pourri en République française… » On sent déjà que l’auteur vise haut : rien moins que la notoriété persistante que vous garantit la petite phrase qui fait mouche dans un contexte donné, comme « La France s’ennuie » de Pierre Viansson-Ponté à la veille de mai 1968, ou « La France moisie » de Philippe Sollers en 1999.

La suite, hélas pour son auteur, ne devrait pas favoriser la promotion de son titre au rang des formules prophétiques. Il ne s’agit, en fait, que d’une prise de position d’un voisin belge, sous-catégorie flamande, à propos du débat lancé par Nicolas Sarkozy et Eric Besson sur l’identité nationale. Il reprend à son compte, sans aucune valeur ajoutée qu’aurait pu apporter un regard extérieur, les arguments développés par les adversaires français de ce débat : il aurait servi de défouloir aux beaufs racistes, stigmatisé les musulmans de France au nom de la lutte contre la burqa, etc. C’est, à ses yeux, une remontée de la France maurrassienne, comme on parlerait d’une remontée d’égouts.

Ce papier n’aurait mérité qu’un haussement d’épaule distrait avant d’être confié à son destin de contenu de poubelle de tri sélectif, s’il n’émanait pas d’un ressortissant d’un peuple dont le rapport a l’identité nationale se manifeste de manière brutale et provocatrice, avec des excès racistes et xénophobes plus violents, en paroles, que partout ailleurs en Europe occidentale.

Il s’agit des Flamands, dont la tolérance à l’autre, en particulier à leurs compatriotes francophones établis au delà de la frontière linguistique est si admirable qu’elle fait régulièrement l’objet de remontrances du Conseil de l’Europe. Certes, Guy Verhofstadt ne fait pas partie de la frange la plus ouvertement flamingante de la classe politique flamande : l’OpenVLD, parti de la bourgeoisie laïque des villes, ne clame pas de manière tonitruante sa volonté de « flamandiser » au kärcher tous les individus demeurant sur la terre des Flandres, comme l’extrême droite du Vlams Belang ou les sociaux-chrétiens de l’actuel premier ministre Yves Leterme. Mais, au parlement, le parti de M. Verhoftstadt vote comme les autres pour la division de l’arrondissement électoral Bruxelles-Halle-Vilvorde, qui interdirait aux francophones de la périphérie de Bruxelles de voter pour des partis s’exprimant dans leur langue. Ce parti est happé, sans grande résistance, par un courant nationaliste impulsé par les Bart De Wever et Jean-Marie De Decker. Je n’ai jamais entendu Guy Verhofstadt, ni aucun de ses amis, protester contre les tracasseries mesquines dont sont régulièrement victimes les résidents de Wezembeek-Oppem ou de Rhodes-Saint-Genèse, qui ont le défaut de vouloir d’exprimer dans la langue de Molière.

Monsieur Verhofstadt trouve grotesque et ridicule que l’on apprenne La Marseillaise dans les écoles françaises, mais il oublie de dire que c’est par rejet profond de la Belgique unitaire que la plupart de ses compatriotes refusent de chanter l’hymne du Royaume, La Brabançonne. L’épisode d’Yves Leterme piégé par un journaliste et confondant cet hymne avec La Marseillaise est resté dans toutes les mémoires. « La loi, le roi, la liberté » : ces mots sur lesquels s’achève le chant des Belges sont considérés comme ringards par la plupart des Flamands. À ceux qui voudraient, comme Verhofstadt, que les Français les imitent en snobant La Marseillaise, il n’est pas interdit de conseiller qu’ils s’occupent de leurs oignons. Ou de leurs chicons.

Lutter contre le nationalisme borné, celui qui exclut au lieu d’intégrer, voilà une bonne idée qui nous est rappelée sans ménagement par un voisin qui, apparemment, ne nous veut que du bien.

Je serais curieux de voir la réaction de Guy Verhofstadt si un homme politique français de premier plan s’avisait, par exemple dans une tribune publiée par un quotidien francophone belge de qualité, à proclamer qu’il y a quelque chose de pourri dans les provinces de Flandre, avec des arguments autrement plus probants que ceux avancés par lui pour nous faire honte.

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