Syriza : victoire à la Pyrrhus en Grèce


Syriza : victoire à la Pyrrhus en Grèce

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Le peuple grec a parlé haut et fort. Il a massivement apporté son soutien à Syriza et à son leader Alexis Tsipras. C’est la démocratie et comme tout le monde sait, le mot – contrairement à la chose, assez récente chez les Hellènes – a été inventé en Grèce. Le peuple a donc parlé, mais que diable a-t-il  voulu dire ? Quelques témoignages d’électeurs grecs glanés dans la presse de ce dimanche permettent d’esquisser un début de réponse.

Sur le site du Monde, quatre citoyens grecs expliquent leurs choix. Areti, ne veut pas dévoiler quelle bulletin elle vient de déposer dans l’urne mais elle laisse peu de place au suspens puisqu’elle déclare avoir rejeté le parti conservateur au pouvoir (Nouvelle démocratie). « Pendant ces années de crise, les Grecs ont été déshonorés devant le monde entier. On veut retrouver notre honneur », explique-t-elle pour justifier son choix. Comprenez : l’Europe et le monde entier nous ont humilié, maintenant c’est à nous de jouer, et de nous venger. Et la meilleure des vengeances, selon la presse mondiale, consiste à voter Syriza. Si ce raisonnement vous semble un peu rudimentaire, vous n’avez pas tort, mais c’est ainsi qu’on explique en France le vote FN des « beaufs »…

De son côté, Katarina avoue clairement avoir voté Syriza. Elle va jusqu’à le « [clamer] haut et fort ». « C’est le seul moyen de retrouver notre dignité », explique-t-elle à la suite d’Areti. Pour que la vengeance soit complète, elle espère que le parti d’Alexis Tsipras « aura une majorité absolue ». Chez Syriza on n’ignore pas cet état d’esprit d’une partie de l’électorat, raison qui a poussé Alexis Tsipras à utiliser quatre fois le mot dignité dans son dernier message aux électeurs.     

Après ces deux cris du cœur, les deux autres témoins du micro-trottoir du Monde déploient un argumentaire très différent mais tout aussi intéressant. Le premier, Vassilis Sklias, un ancien fonctionnaire européen, souhaite le succès de Syriza pour… mieux faire avancer les reformes ! Pour lui « Il faut assainir la fonction publique [..] mettre fin au système clientéliste créé par le Pasok et Nouvelle démocratie, avec leurs cortèges d’employés du parti. » Stratège, il espère que le score de Syriza permettra à la Grèce d’améliorer son jeu avant le prochain tour de poker avec ses créanciers. Il compte sur l’Europe pour comprendre le message « Que va-t-il se passer si on attaque cette gauche pro-européenne ? Cela profitera à l’extrême droite anti-européenne. On est prêts à discuter. Nous voulons rester  dans le cadre institutionnel européen. Nous ne voulons pas devenir Cuba. »

Pour finir, Le Monde donne la parole à Alex, un électeur de Nouvelle Démocratie et fier de l’être. Mais la perspectives d’une victoire de Syriza ne lui fait pas peur : « Ils ont promis tellement de choses que tout le monde sait qu’ils ne pourront pas les appliquer, et heureusement, car elles sont dangereuses. Dès lundi, ils reviendront à la raison et suivront les règles. »

Les cris d’enthousiasme des militants de Syriza sentant l’odeur de la victoire rappellent un certain 10 mai 1981. Si ces quelques cas cités plus hauts sont anecdotiques, beaucoup d’électeurs de Syriza n’adhérent pas aux idées et encore moins au programme de cette formation. Humiliés et en colère, ils cherchent à faire du mal à l’Europe. En anglais, on appelle cette attitude « cutting off the nose to spite the face” (se couper le nez pour se venger du visage). Ce genre de châtiment procure un plaisir aussi intense que bref. Les regrets, en revanche, peuvent durer plus longtemps. Ainsi, certains esprits rationnels font le pari de  « mouiller » l’extrême gauche dans la politique actuelle de la Grèce, laquelle ne se détournera pas de son cadre actuel, c’est-à-dire la démocratie libérale, le capitalisme, et l’économie de marché. D’aucuns ne croient pas un mot de ce que dit Syriza et souhaitent compromettre durablement la gauche radicale grecque pour prouver, une bonne fois pour toutes, qu’il n’existe pas de véritable alternative politique et idéologique.

En France, il nous a fallu presque trois ans (entre la victoire de mai 1981 et la formation du gouvernement Fabius, sans les communistes en 1984) pour évaluer les véritables marges de manœuvre politiques d’un gouvernement de gauche. On peut souhaiter aux Grecs que le processus soit plus rapide chez eux. De toute façon, la gauche radicale européenne doit dès à présent répondre à cette question décisive : comment survivre à l’inéluctable trahison idéologique de Syriza ? Certaines victoires sont pires que des défaites. 

*Photo : Lefteris Pitarakis/AP/SIPA. AP21683178_000037. 



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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