Vendredi dernier chez Taddeï, Dominique de Villepin assurait le service après-vente de sa tonitruante tribune au Figaro du 29 août. Une de plus. Non sans renouer avec un certain panache, dix ans après son fameux discours devant le conseil de sécurité des Nations-Unies.
Heureuse coïncidence, l’ancien Premier ministre n’avait face à lui, sur le plateau de France 2, que des faire-valoir. Elisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée (lot de consolation qu’elle a obtenu après son ascension manquée du perchoir), a tenté péniblement de citer Raymond Aron avant de s’indigner pour qu’on mette en place des corridors humanitaires. Mais surtout pas de zone d’exclusion aérienne ni de troupes au sol… normal, l’ancienne garde des Sceaux de Lionel Jospin est aussi à l’aise sur les questions de défense que Bernard Kouchner !
Attaquée sur le discours justicier de François Hollande et Barack Obama, celle qui fut considérée, il y a trente ans, comme la plus belle femme du PS s’est néanmoins démarquée du Président dont elle est la porte-parole à l‘Assemblée : « je n’aime pas le terme punir, il a une connotation morale, je préfère le mot sanction ». Avant d’ajouter : « Je n’attends pas grand-chose du rapport des Nations-Unies ! » Quelques heures après la tentative désespérée de François Hollande de donner à son intervention un habillage légal et respectueux de l’ONU, l‘Elysée devrait apprécier.
La discussion avançant, Elisabeth Guigou tombe le masque fardé de l’indignation et dévoile l’arrière-plan stratégique de la diplomatie française : forcer l’Iran qui, reconnaît-elle, donne actuellement des gages de modération, à s’asseoir à la table des négociations (mais en excluant le dossier nucléaire…), et avertir la Corée du Nord car « le nucléaire c‘est le même problème » . Décidément Mme Guigou est fâchée avec les questions militaires. Une frappe aérienne en Syrie ne fait que renforcer en effet la volonté des ces deux « États-voyous » de posséder la bombe. Car ce talisman stratégique, contrairement à un scud bourré de gaz sarin, sanctuarisera leur territoire contre toute attaque. Difficile dans ces conditions de séparer le dossier syrien du nucléaire iranien… Encore un bel exemple d’ « ‘irealpolitik » pointée en son temps par Hubert Védrine!
Dès lors Dominique de Villepin avait le champ libre pour écraser de son expérience et de son verbe l’auditoire. Supérieur, il met en garde Frédéric Encel : « Vous ne pouvez pas baser votre politique étrangère sur la puissance, au moment même où celle-ci change de main ». Il donne ensuite une leçon de droit international à Mme Guigou: « Il ne faut pas séparer la légitimité de la légalité ». Et d’appeler à un sursaut diplomatique, arguant que de ce point de vue, rien n’a été tenté ou presque. Avant de bombarder Belgrade, on s’était bien donné la peine de réunir les belligérants à Rambouillet. On avait cru ainsi montrer que l’intervention armée était l’ultime recours. Mais « le raccourci militaire c‘est enfantin (…), la diplomatie mondiale elle est molle! »
Sous le charme, Frédéric Taddeï laisse alors l’ex-secrétaire général de Jacques Chirac conclure. Le problème c’est que cet opposant magnifique qu’est monsieur de Villepin est moins brillant lorsqu’il s’agit de trouver des solutions concrètes:
« Il faut renverser la table! » La partition pure et simple, à l’image de la Syrie mandataire! La zone kurde est d’ores et déjà autonome, un pays alaouite existe de facto, les minorités chrétiennes seraient protégées par une force onusienne… Les puissances occidentales placeraient ainsi un verrou contre les djihadistes (comme la FINUL face au Hezbollah ?). Les Russes pourraient s’en satisfaire, les puissances sunnites remettraient la main sur la capitale des Omeyyades…
Dommage que Dominique de Villepin soit diplomate car ses plans ne tiennent debout que le temps d’un discours. Ses positions sur les conflits ivoirien et malien avaient déjà discrédité ses envolées pacifistes (à croire que l’éphémère directeur-adjoint aux Affaires africaines et malgaches du Quai d’Orsay n’a jamais rien compris au continent noir). Avocat théâtral et obscur, Dominique de Villepin pourrait suivre le triste destin de Roland Dumas.
Il aurait été plus à l’aise dans un hémicycle, mais pour ça il faut faire campagne… et c’est sans doute trop mesquin pour lui.
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