L’inflexion présumée de la diplomatie française et son rapprochement avec la coalition russe en Syrie a été hâtivement annoncés par la presse française. Europe 1 dévoile « les coulisses du rapprochement franco-russe ». RFI célèbre « La France et la Russie, la main dans la main. » TF1 et Valeurs Actuelles ont fait le chemin de Damas pour recueillir auprès de Bachar Al-Assad ses impressions sur les attentats. Après les coups de menton de François Hollande, « notre ennemi c’est Daech », et les revirements de Juppé et Sarkozy, l’union sacrée contre le terrorisme islamiste semblait une évidence. La doctrine « ni Bachar ni Daech a du plomb dans l’aile » conclut L’Opinion. D’autant que Vladimir Poutine, meilleur allié de Damas, a une nouvelle fois tendu la main à la France et commandé à sa flotte de se coordonner rapidement en méditerranée avec le porte-avion Charles-de-Gaulle. Laurent Fabius a fini par admettre à demi-mot que la Russie n’était pas seulement là pour sauver Bachar mais aussi lutter contre Daech. Bref, après les attentats de Paris, le « Russian bashing » n’est plus de saison dans la presse française et le Quai d’Orsay doit s’en accommoder.
Ce vrai-faux virage de la diplomatie française est trompeur à bien des égards. Malgré de sérieuses divergences de vue, la France a toujours maintenu un dialogue avec Moscou. Les sanctions économiques anti-russes consécutives au changement de régime en Ukraine sont toujours d’actualité. L’ambassade de France à Damas est toujours inoccupée. Par conséquent, les services de renseignement français ne peuvent pas coopérer avec leurs homologues syriens. Lesquels ont, semble-t-il, de précieuses indications sur un certain nombre de nos ressortissants partis faire le djihad.
En réalité, Laurent Fabius n’a pas plié. Sa doctrine du « ni Bachar, ni Daech » tient toujours. L’orage est passé, les terroristes venus de Syrie ont massacré mais la diplomatie française reste imperturbable, droite dans ses bottes. Elle maintient mordicus depuis quatre ans que la solution de la crise syrienne passe par le départ du chef de l’État syrien dont la légitimité démocratique n’est pas suffisante pour faire partie de la grande coalition occidentale contre Daech. Mais hormis le départ du président syrien, la coalition occidentale n’a rien d’autre à proposer. L’envoi de troupes occidentales au sol est inenvisageable depuis les fiascos irakien et afghan. Et l’exemple libyen a montré que soutenir des djihadistes n’arrangeait rien non plus.
Les négociations de Vienne se poursuivent donc; chacun des participants ayant des objectifs opposés. Les pays occidentaux cherchent à négocier un hypothétique calendrier de départ du Président Assad. Appel pourtant maintes fois décliné par la diplomatie syrienne et ses alliés russo-iraniens. Les Russes cherchent de leur côté une alternative et de nouveaux partenaires de l’opposition qui soient crédibles pour parler avec Bachar Al-Assad et forcent les Occidentaux à lever le voile sur la vraie nature de leurs alliés « rebelles modérés ». La question est désormais de savoir si Jaïch al Islam et Ahrar Al-Sham sont des partenaires suffisamment présentables. L’Arabie saoudite, qui s’y connait en salafisme, va réunir tout ce beau monde à Riyad pour faire le tri entre les gentils et les mauvais djihadistes. Parmi ceux qui combattent avec Al-Qaïda en Syrie, lesquels sont encore présentables? Les experts saoudiens devraient nous donner une réponse d’ici peu. Si Riyad n’apparaît pas à première vue la mieux placée pour ce travail, les Occidentaux préfèrent sans doute sous-traiter le dialogue avec nos alliés djihadistes. Ça pourrait faire mauvais genre quelques jours après les attentats de Paris.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21802242_000001.
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