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Syrie: l’Occident peut-il faire confiance à Hayat Tahrir al-Cham?

Trois mois après la chute de Bachar Al-Assad, l’Union Européenne retire progressivement ses sanctions économiques


Syrie: l’Occident peut-il faire confiance à Hayat Tahrir al-Cham?
Annalena Baerbock et Jean-Noel Barrot à Damas avec Ahmad al-Sharaa, 3 janvier 2025 © AP/SIPA

Ce lundi 24 février se tient à Bruxelles un important conseil européen des ministres des Affaires étrangères au sujet de la nouvelle Syrie après la récente chute du régime tyrannique de Bachar al-Assad. Nos démocraties occidentales seront-elles toutefois assez lucides et vigilantes, contre un excès de naïveté, pour ne pas concourir à remplacer l’ancienne dictature politique par une nouvelle tyrannie religieuse, comme peut le laisser légitimement craindre le nouveau maître autoproclamé de Damas, ancien djihadiste ? C’est là la mise en garde de cette tribune critique ! Il en va, aussi, de notre propre sécurité et liberté…


Paris, 8 décembre 2024 : ce jour-là, il y a un peu moins de trois mois donc, le porte-parole du Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères déclarait, dans un communiqué officiel, qu’en « ce jour historique, pour la Syrie et le peuple syrien, la France saluait la chute du régime de Bachar al-Assad (…) après 13 ans d’une répression d’une grande violence contre son propre peuple ». Et d’ajouter aussitôt : « Les Syriens ont trop souffert. Bachar al-Assad laisse un pays exsangue, vidé d’une grande partie de sa population qui, si elle n’a pas été soumise à l’exil, a été massacrée, torturée et bombardée aux armes chimiques par le régime et ses alliés. » Il en concluait très opportunément, à l’instar de la plupart des chancelleries de nos démocraties occidentales : « La France rend hommage à toutes ses victimes. » Dont acte !

C’est ainsi donc que l’opposition syrienne, menée principalement là par le groupe « Hayat Tahrir al-Cham », dirigée par le commandant Ahmed Hussein al-Sharaa, mieux connu sous son nom de guerre d’Abou Mohammed al-Joulani, fondateur du très sanguinaire « Front al-Nosra » et donc, à cet inquiétant titre, ancien djihadiste à la solde du non moins abominable terrorisme islamiste, prenait effectivement le pouvoir, après une offensive éclair face à la débandade des forces loyalistes, en Syrie !  

L’Occident face à l’ancienne nébuleuse islamiste d’« Hayat Tahrir al-Cham » 

Nul ne regrettera certes ici la chute d’un dictateur aussi épouvantable que Bachar al-Assad. Mais, ceci étant dit et admis, faudra-t-il, pour autant, se réjouir précipitamment, en un nouvel, inconsidéré et béat excès de naïveté, de cette récente et soudaine accession au pouvoir syrien d’un ancien terroriste islamiste, et non des moindres au vu de l’abondance du sang sur ses mains, tel qu’Ahmed al-Sharaa précisément ? Prudence, bien évidemment, sinon, à l’aune de cet effrayant, cruel et sombre pedigree, méfiance ! On comprendra donc aisément, et à juste titre, l’inquiétude des capitales occidentales, malgré les assurances du nouveau maître de Damas, face à pareil profil politico-religieux. Nombreux sont par ailleurs les témoignages, encore aujourd’hui, d’un extrémisme malheureusement persistant au sein des villes et campagnes de Syrie !

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Mais il n’empêche : les pays de l’Union Européenne, sous l’égide de la France principalement, cherchent néanmoins, face à cet enjeu géopolitique et même stratégique pour la stabilité de cette région tout entière, sinon pour l’Occident en son ensemble, à établir un dialogue constructif avec la nouvelle administration syrienne, dominée donc, à l’heure actuelle, par cette nébuleuse constituée par « Hayat Tahrir al-Cham ». Et ce, malgré le fait que cette organisation soit encore classée, par les Etats-Unis d’Amérique notamment, comme « groupe terroriste » au niveau international !  

Rencontres diplomatiques à haut niveau et risque

Sur le plan pratique, ces efforts impliquent un certain nombre de  rencontres, tant officielles qu’officieuses, entre les responsables européens, de haut niveau, et Ahmed al-Sharaa lui-même, ancien rebelle autoproclamé donc aujourd’hui, depuis le 29 janvier 2025, nouveau Président, par intérim, de la Syrie et, à ce prestigieux titre, soucieux donc, en tentant de se présenter sous l’affable visage d’un allié rassurant quant aux intentions de son gouvernement, de répondre aux attentes de ses interlocuteurs occidentaux du moment. Le risque de tomber dans le piège n’est certes pas négligeable !

Ainsi, ces théoriques mais nécessaires précautions étant prises, l’Union Européenne prévoit-elle, aux dires des diplomates réunis vendredi dernier à Bruxelles, de lever très bientôt ses sanctions contre la Syrie, quoique cependant graduellement, en fonction des progrès véritablement démocratiques en matière de droits de l’homme et d’inclusion de ses différentes minorités et ethnies, notamment kurdes (au nord-est du pays) et alaouites (en s’interdisant d’avoir recours, par exemple, à la vengeance par rapport à Bachar al-Assad, d’origine alaouite précisément). 

Davantage : ces mêmes diplomates ont indiqué que les ministres des Affaires étrangères des 27 pays membres, réunis en conseil ce lundi 24 février dans la capitale belge, pourront officiellement prendre cette décision, lourde de conséquences positives ou négatives, suite à l’accord préliminaire trouvé lors de leur précédente réunion en janvier dernier.  

Un communiqué de la présidence française a par ailleurs rappelé les déclarations du président Emmanuel Macron soulignant l’importance de poursuivre la lutte contre le terrorisme, et précisant, en outre, que cette démarche était « dans l’intérêt du peuple syrien et de la sécurité nationale française ».  

Emmanuel Macron, dans le même esprit, a également insisté sur la nécessité d’intégrer les Forces démocratiques syriennes au sein du processus de transition politique en Syrie.  

Aussi, au début de cette année, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrotet son homologue allemande, Annalena Baerbock, se sont-ils donc rendus à Damas, où, munis d’un mandat de l’Union Européenne, ils ont rencontré Ahmed al-Sharaa justement. Barrot y a exprimé, parmi d’autres points essentiels, la volonté de la France d’apporter son « expertise juridique » en vue de soutenir la rédaction d’une nouvelle Constitution syrienne.  

L’inquiétude européenne malgré les assurances d’Ahmed al-Sharaa

Mais, nonobstant ces efforts de « Hayat Tahrir al-Cham » pour se montrer sous un jour plus « conciliant », espérant réduire ainsi les tensions avec les pays occidentaux, comme l’explique le chercheur Aron Lund dans une interview à Deutsche Welle, l’inquiétude des Européens, cependant, demeure.  

Aron Lund ajoute même que l’organisation pourrait revenir à ses « fondements idéologiques plus stricts » en cas de menaces à son encontre : attitude, celle-ci, alimentant, bien sûr, les craintes, au sein des démocraties occidentales, que son noyau djihadiste continue de la sorte, envers et contre tout, d’influencer sa politique générale, tant intérieure qu’extérieure.  

En ce qui concerne la communauté internationale, la docteure Faten Ghosn, directrice du département de gouvernance à l’Université d’Essex, au Royaume-Uni, estime, quant à elle, que la réponse occidentale restera conditionnée à la capacité du nouveau régime syrien de dissiper les inquiétudes liées à la propagation de l’idéologie islamiste.  

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Elle ajoute, non moins judicieusement : « Leur inquiétude grandit, car ils ne veulent pas voir émerger davantage de groupes extrémistes susceptibles d’engendrer plus de violence et d’accroître le flux de réfugiés vers l’Europe ».  

Bien qu’Ahmed al-Sharaa, chez qui l’on ne peut légitimement écarter d’indéniables calculs démagogiques et autres attitudes opportunistes, tente de rassurer la communauté internationale par des discours apaisants, la docteure Katia al-Khatibenseignante en droit humanitaire international, affirme que les mesures prises par les autorités syriennes « ne sont pas conformes à la vision de la résolution 2254 » des Nations-Unies. Elle espère donc que les conférences internationales, comme celle tenue récemment, le 13 février dernier, à Paris, permettront des avancées, concrètes et effectives, vers un changement plus positif, significatif sur le plan socio-politico-idéologique, en Syrie.  

Mises en garde et défi socio-politico-idéologique

Conclusion ? Au vu de semblable contexte, la menace terroriste reste une préoccupation dans la gouvernance actuelle de la Syrie, en raison notamment des profondes divisions entre les diverses, et parfois rivales entre elles, factions armées. À cet épineux mais réel sujet, où les mises en garde tendent toujours plus et fort heureusement à se multiplient avec lucidité tout autant que réalisme, Bruce Hoffman, professeur de sciences politiques à l’Université de Georgetown, rappelle que la rivalité historique entre l’ « État islamique » (Daech) et « Hayat Tahrir al-Cham » complique encore davantage la situation sécuritaire de la région : ce qui, bien évidemment, n’est pas peu dire !  

Ainsi le principal défi, à l’heure actuelle, reste-t-il donc d’empêcher un retour des organisations terroristes en Syrie, surtout au regard des très légitimes préoccupations sécuritaires européennes, l’Europe ayant déjà été frappée à plusieurs reprises, de manière particulièrement sanglante et dramatique, par de violentes attaques terroristes, comme celles successivement, à Paris, du 7 janvier 2015, à « Charlie Hebdo », où sa rédaction a été pratiquement disséminée, avec 12 morts et 11 blessés, puis du 13 novembre de la même année (au Bataclan, notamment), attentats meurtriers ayant fait, de sinistre mémoire quant au nombre très élevé de victimes en ce terrible bilan humain, 130 tués, tous innocents, et 413 blessés hospitalisés, dont 99 en situation d’urgence absolue !

Restons vigilants face au péril islamiste : ne remplaçons pas une dictature politique par une tyrannie religieuse !

Reste à espérer, en ces difficiles conditions, que la prochaine conférence internationale sur la Syrie, qui se tiendra à Bruxelles le 17 mars prochain, portera réellement ses fruits, positifs, démocratiques et dans l’intérêt de tous. Et ce en veillant donc, en demeurant lucides et vigilants, à ne pas remplacer, comme lors de l’ancien et prétendu « printemps arabe » (en Tunisie, Egypte, Irak, Lybie et Algérie), une dictature politique par une tyrannie religieuse : ce qui, et ce n’est pas peu dire, est peut-être pire encore !

Car, à réhabiliter précipitamment ce  dangereux islamiste qu’est le nouveau maître incontesté, même si éminemment contestable, de la Syrie, le péril, pour la sauvegarde même du monde libre et démocratique, est grand, en Occident comme ailleurs.

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Philosophe, écrivain, auteur d’une quarantaine de livres, directeur de l’ouvrage collectif, autour de 33 intellectuels majeurs, « L’humain au centre du monde – Pour un humanisme des temps présents et à venir. Contre les nouveaux obscurantismes » (Editions du Cerf).

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