Quand la Syrie s’embrase, c’est toute la poudrière moyen-orientale qui prend feu. Un million et demi de réfugiés dans les pays limitrophes, de mystérieux attentats en Turquie, un Kurdistan en pleine recomposition, et voilà un siècle de statu quo parti en éclats.
Crise syrienne ou pas, il est malheureusement une constante indépassable : le psychodrame libanais revient chaque année de plus belle, au rythme des ingérences étrangères qui – cruel paradoxe – rallument régulièrement le spectre de la guerre civile. Et le retrait de l’armée syrienne en 2005 n’a rien changé à l’affaire. Plus que jamais, on peut diviser le paysage politique libanais suivant une double ligne de faille : le rapport aux Etats-Unis et à l’Arabie Saoudite d’un côté, la relation à la Syrie de l’autre. Suivant cette dichotomie nettement plus pertinente que le clivage droite/gauche, on trouve côte à côte les chrétiens aounistes du CPL, les chiites d’Amal et du Hezbollah, le Baath libanais et le Parti social nationaliste syrien, fidèles alliés de Damas regroupés au sein de l’alliance du 8 mars. En face, les sunnites hariristes, les chrétiens phalangistes ou membres des Forces libanaises, et quelques électrons libres forment le camp du 14 mars, rassemblement scellé au lendemain de la mort de Rafic Hariri. Avec comme faiseur de rois le Parti socialiste progressiste du druze Walid Joumblatt, voici le tableau dressé. Comme en 2011, le passage de Joumblatt d’une rive à l’autre a récemment permis le basculement de la majorité parlementaire sans qu’aucune élection n’ait lieu. Résultat : un clou chasse l’autre, Mikati ayant succédé à Saad Hariri il y a deux ans avant d’être écarté par Tammam Salam, qui dirige un cabinet fantôme depuis quelques semaines, faute d’accord entre les différentes forces partisanes pour composer un gouvernement.
À quelques semaines des élections législatives, le torchon brûle toujours autour du mode de scrutin. Exit le projet ultraconfessionnel orthodoxe qui prévoyait de faire élire les députés maronites par les maronites, les chiites par les chiites, les druzes par les druzes, etc. Bis repetita : en l’absence de consensus, la loi électorale en vigueur, instituée en… 1960, servira de base aux élections de juin… si ces dernières se tiennent en temps et en heure. Retour au statu quo ex ante donc, au nez et à la barbe de Michel Aoun, dont les dernières sorties médiatiques sont autant de déclarations de guerre (verbale) à son coreligionnaire Samir Geagea…
Non loin de là, à quelques encablures du Liban, la guerre civile libanaise reprend de plus belle en territoire syrien. À Qousseir, une position stratégique que l’armée syrienne vient d’arracher à la rébellion, des troupes d’élite du Hezbollah bataillent aux côtés des troupes d’Assad contre les insurgés sunnites et quelques salafistes libanais venus leur prêter main forte, dont l’inénarrable cheikh Assir. Ce dernier s’est affiché arborant une kalachnikov rutilante sur la ligne de front, mettant ainsi en actes son appel au jihad anti-Assad. Ces combats entre chiites et sunnites libanais, s’ils se déroulent en terre étrangère, rappellent un triste souvenir aux éditorialistes levantins.
Au printemps 2008, une petite semaine d’affrontements avait mis le Liban à feu et à sang en opposant notamment les miliciens du Hezbollah aux mercenaires du Courant du Futur haririste, pour une (pas si) banale histoire de réseau de téléphonie privé aux mains du parti chiite. Bilan : plus de quatre-vingt-morts et un refrain que tout le monde ne cesse d’entonner : plus jamais ça. C’est peut-être l’odeur du sang qui sauvera le Liban d’une double discorde sur son sol. De Qousseir la syrienne à Tripoli, où sunnites et alaouites se tiennent en ligne de mire, les tenants du choc des civilisations en sont aujourd’hui pour leurs frais tant les lignes de front fracturent chaque communauté religieuse en plein cœur.
*Photo : le cheikh Assir sur le champ de bataille à Qousseir (Facebook).
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