Il y a quelques jours, une source que la presse a qualifiée de « diplomate du Conseil de sécurité des Nations-Unies » a fait cette déclaration : « Tout en insistant sur la préservation de l’intégrité territoriale de la Syrie, en la maintenant ainsi comme un seul pays, il y a naturellement toutes sortes de modèles différents de structure fédérale qui pourraient, dans certains cas, reposer sur un centre très, très faible et beaucoup d’autonomie pour différentes régions ».
Puisque cette source anonyme est très probablement membre de la délégation russe auprès de l’ONU, cette phrase dessine les possibles contours de la solution politique de la guerre civile syrienne. Et, comme pour le prouver, quelques jours après la publication de cette indiscrétion, Poutine a annoncé le début du retrait de ses troupes déployées en Syrie : un message clair adressé à Assad lui signifiant que son rêve d’un retour à la Syrie d’avant ne faisait pas partie des objectifs russes. Et voilà qu’aujourd’hui nous apprenons – quelle coïncidence ! – l’existence d’un projet de fédéralisation des trois zones contrôlées par les Kurdes au nord-est de la Syrie. Cette région que les Arabes nomment Jezireh et les Kurdes Rojava sera dirigée par un gouvernement ayant charge la gestion de l’économie et la sécurité, mais aussi une fonction plus régalienne : la défense.
Un responsable kurde a également indiqué qu’une conférence se tenait actuellement à Rmeilanv (dans la région de Hassaké, nord-est de la Syrie, à 700 kilomètres de Damas), pour approuver ce système d’autonomie officiellement baptisé « Fédération démocratique du Rojava ». Cerise sur le baklawa, l’initiative – qui n’est pas pour déplaire à Moscou – s’est immédiatement attiré les foudres d’Ankara. Pour la Turquie, le PYD (Parti de l’union démocratique), parti des Kurdes syriens à la manœuvre, ne diffère guerre du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qu’Ankara considère comme une organisation terroriste. Dans le même temps, une grande partie de l’Est turc, à dominante kurde, vit sous état de siège depuis la crispation des rapports entre Erdogan et le PKK.
Sur le front diplomatique syrien, si Ankara a pu empêcher la participation du PYD aux négociations de Genève, les Turcs voient se réaliser leur pire cauchemar sur le terrain : la constitution d’un Kurdistan syrien autonome. Déjà, à l’été 2014, lorsqu’elles tergiversaient pendant l’assaut de l’Etat islamique contre la ville kurde syrienne de Kobané, les autorités turques avaient préféré choisir un moindre mal : plutôt Daech qu’un Kurdistan quasi-indépendant de Damas qui donneraient des idées aux Kurdes de Turquie !
Aujourd’hui, presque la moitié de la frontière syro-turque se trouve sous contrôle kurde, mais, ce qui est encore plus important, le coup d’envoi quasi officiel du démantèlement de la Syrie vient d’être donné. Reste à trouver les Sykes-Picot du XXe siècle : Lavrov et Kerry ? En tout cas, la Turquie d’Erdogan n’a aucune envie de jouer le rôle autrefois dévolu aux Kurdes : le dindon de la farce diplomatique.
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