Plus de trois ans après l’intervention armée de l’OTAN en Libye, il est difficile de tirer un bilan de l’après-Mouammar Kadhafi. Après une courte période de liens diplomatiques avec le nouvel Etat libyen, la France s’est retiré du pays. En proie au chaos, la Libye est déchirée par des luttes intestines. Les discussions de paix qui se tiennent à Genève piétinent alors que les institutions se sont effondrées : deux parlements, deux gouvernements qui luttent pour le contrôle de la banque centrale.
Face à l’imbroglio libyen, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian essaye en sous-main de convaincre nos alliés de la nécessité d’intervenir à nouveau. La France qui s’était si fermement opposée à l’intervention en Irak de 2003 envisagerait ainsi une cinquième intervention militaire en moins de quatre ans. « On ne comprend plus rien à la position de la France, jette Widad Hamani l’ancienne conseillère et proche de Kadhafi. Aujourd’hui Paris a une position plus dure que Washington sans avoir les intérêts financiers des Etats-Unis. » C’est en effet à n’y rien comprendre. En Libye, la France avait des accords sécuritaires et, bien que le défunt « guide de la Révolution » était filou en la matière, des promesses de contrats faramineux avaient été faites. Notre politique étrangère dépasserait-t-elle donc le mercantilisme ? S’attacherait-elle à des causes plus grandes telles que la défense des libertés des libyens ? L’on aurait envie de le croire mais la suite des événements, le chaos, montre bien qu’il n’en est rien. Sans service après vente la France ouvre une nouvelle étape dans son positionnement stratégique, celle du slogan.
Tout et son contraire. Peu importe la réalité sur le terrain. Aux oubliettes les données habituelles de la diplomatie. Plus d’intérêts, plus de principes généraux, de valeurs, de partenaires ou de soutiens. « Notre savoir-faire en analyse de ces régions disparaît petit à petit » regrette un ancien diplomate passé par des postes clés au Maghreb et Proche-Orient. Aujourd’hui, l’opérationnel est collé au décisionnel. A quoi bon perpétrer la tradition française des concours du Quai d’Orsay puisque l’exécutif et l’armée décident eux-mêmes de la direction à prendre.
La Libye n’est pas un cas isolé. Partout où les projecteurs médiatiques sont pointés, l’observateur doit se contenter d’une compilation de déclarations sans prise sur le réel. Une analyse de discours sans cohérence. Alain Juppé puis Laurent Fabius veulent armer les opposants de l’autocrate Bachar Al-Assad, tout en luttant contre la montée en puissance des forces djihadistes. À Davos, François Hollande veut une réaction « globale » face au terrorisme, tout en affirmant que le défunt roi Abdallah d’Arabie Saoudite était un « partenaire » pour lutter contre le terrorisme. Ce même Abdallah qui fermait les yeux sur le financement de groupes extrémistes en Syrie.
C’est à celui qui aura la meilleure formule. La presse en raffole et les communicants rivalisent en ingéniosité. Le karcher de Nicolas Sarkozy, l’apartheid de Manuel Valls, ces bons mots font mouche. Si bien que nos ministres les amènent sur le terrain diplomatique. Sans expérience à cette échelle, nos représentants oublient bien vite qu’en négociation internationale tout est affaire de symbolisme.
Répéter à temps et contre temps depuis 2011 que la chute de Bachar Al-Assad est « imminente » a simplement fait disparaître le peu de crédibilité que la France conservait. Considérer que la Syrie est infréquentable et que notre ambassade doit se retirer est un bon coup médiatique. Dans les faits, la France s’est mis hors jeu des négociations et a perdu tout contact avec les populations civiles. Quelle alternative au jusqu’auboutisme pour l’autocrate quand Laurent Fabius déclare que «Bachar ne mériterait pas d’être sur la Terre » ? Ici plus loin même que le slogan, Laurent Fabius propose pratiquement un sujet de philo pour le bac 2015. Habituellement très terre à terre l’ancien premier ministre tranche la question métaphysique s’il en est : mérite-t-on d’être sur le terre ?
Au Mali en juillet 2013 François Hollande parle du « plus beau jour politique de sa vie » quand Jean-Yves Le Drian annonce la « victoire militaire ». Un an et demi plus tard, l’armée française est toujours déployée et le Nord du pays est le théâtre d’affrontements et d’attentats des groupes islamistes Aqmi, Ansar Dine, Al-Mourabitoune. Peu importe, le ministre de la Défense multiplie les tractations pour convaincre nos alliés qu’il faut bombarder la Libye. À nos alliés les plus sceptiques, le ministre compte rappeler « ce que nous avons collectivement entrepris et réussi au Mali ».
Ne tirons aucune leçon des cinq dernières années d’errements diplomatiques. Au contraire, multiplions nos erreurs puisqu’il suffit ensuite de nier l’évidence.
*Photo : CHAMUSSY/SIPA. 00701862_000022.
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