Il y a une quinzaine de jours, la stratégie de la coalition internationale était gravement remise en cause après les prises de Palmyre et Ramadi par l’Etat islamique. Pour la soixantaine de pays qui soutiennent les Etats-Unis dans leur combat contre Daech, ce fut un revers inédit depuis le début des frappes il y a un an. Plus qu’un revers, c’est une déculottée en rase campagne que l’opinion publique n’a pas comprise. Pourquoi les chasseurs bombardiers sont-ils restés cloués au sol? Le prétexte consistant à ne pas soutenir des milices chiites contre Daech est incompréhensible alors que les Français voient plus d’un millier de leurs enfants partir se battre en Syrie pour mieux se retourner contre leurs parents.
En guise de réponse, Laurent Fabius a annoncé une réunion d’urgence de la coalition à Paris. Et puis rien. Comme prévu, la conférence s’est tenue à Paris dix jours après. On espérait un sursaut, une clarification de la situation et la redéfinition des objectifs de guerre. Mais rien n’a filtré, hormis l’exaspération du premier ministre irakien Haïdar Al-Abadi en conférence de presse. Les derniers bombardements de la coalition effectués à Alep ce week-end ne devraient pas nous aider à comprendre la nouvelle stratégie de la coalition.
Jusqu’à présent, cette dernière se contentait en Syrie (où la France brille par son absence) de défendre les bastions kurdes autour de Kobané et de Hassaké et de pilonner les positions de l’Etat islamique dans ses fiefs de Raqqa et Der-ez-Zor, frappant même les forces d’Al-Nosra près d’Idlib. Mais l’Occident s’était bien gardé de prendre part aux luttes intestines entre les différentes chapelles djihadistes. D’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme, un site affilié à l’opposition, la coalition aurait pour la première fois ces derniers jours appuyé la défense du front Al-Nosra (Al-Qaïda en Syrie) pour contrer les avancées de l’Etat islamique autour d’Alep.
Peut-on imaginer l’aviation américaine voler au secours des successeurs de Ben Laden au Levant, quatre ans après son exécution au Pakistan? Le Pentagone est-il assez crédule pour croire à la «modération» affichée d’Abou Mohamed Al-Jolani, le chef d’Al-Nosra, diffusée gracieusement sur Al-Jazira, la chaîne de notre allié qatari?
C’est à se demander s’il y a un pilote dans l’avion de la coalition en Syrie. La branche d’Al-Qaïda en Syrie est tellement imbriquée avec les autres factions djihadistes « modérées » qu’on peut s’interroger sur l’objectif et l’origine exacte de ces frappes. Les pétromonarchies ont les bases, l’argent, et le pouvoir de choisir leur cibles. Al-Nosra est le meilleur allié anti-chiite des pays du Golfe, c’est donc à eux que profite le crime. L’hypothèse selon laquelle les Américains perdraient progressivement le contrôle des opérations de la coalition aérienne ne peut être exclue. Déjà en Libye, les Etats-Unis n’étaient pas parvenus à diriger la coalition, mais l’objectif était le même pour tout le monde: la chute de Kadhafi – puis advienne que pourra.
La stratégie de gribouille de la coalition, cette realpolitik à la petite semaine, est d’autant plus débile que les pays occidentaux se parent des vertus de la démocratie au Moyen-Orient quand leurs alliés autocrates ne cherchent qu’à massacrer les chiites. Ainsi, les pays du Golfe et la Turquie veulent faire tomber Assad au plus vite, tandis que les Etats-Unis font du combat contre l’Etat islamique leur priorité.
En regroupant une soixantaine d’alliés aux intérêts contradictoires et aux objectifs divergents, la coalition ne parvient pas à choisir son adversaire et ses vrais alliés.
Foch disait ne plus admirer Napoléon depuis qu’il était à la tête d’une coalition. Pourtant Napoléon a été vaincu lorsque la coalition européenne s’est décidée à se battre pour de bon. Et Foch a vaincu l’Allemagne lorsqu’il a obtenu le commandement suprême des alliés.
Quand les pays sunnites seront convaincus par l’Europe, l’Amérique et la Russie que l’Etat islamique est notre ennemi principal, alors la coalition ne sera plus seulement une coalition mais une véritable alliance, et la victoire deviendra possible.
*Photo : Uncredited/AP/SIPA. AP21743809_000002.
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