Entre deux appels à l’éradication du Mal, Hollande et son ambitieux chef de la diplomatie ont décidé d’équiper en armes l’opposition syrienne, laquelle peine à renverser la vapeur du côté de Damas. Du moins, c’est ce qu’ils prétendent, au nez et à la barbe de leurs partenaires européens qui ne l’entendent pas vraiment de cette oreille, de peur que le matériel guerrier ne tombe entre les mains des salafistes d’Al-Nosra, un groupe soutenu et financé par nos amis qataris[1. Au grand dam des syriens laïcs ou non-musulmans tombés sous leur coupe, de plus en plus remontés contre le joug salafiste, comme l’ont montré les récentes manifestations organisées dans certaines zones « libérées ».]. À peine la volonté française affichée, les gouvernants d’hier, c’est-à-dire l’UMP et sa cohorte d’anciens ministres, crient haro sur Hollande. Non qu’ils désapprouvent la proposition du quai d’Orsay; à les entendre, celle-ci viendrait presque trop tard. C’est bien plus tôt qu’il fallait agir clament de concert Juppé, Copé et les autres, enfin revenus de leurs bisbilles vespérales. Le refrain « ah si Sarkozy était là… » reprend du coffre, au point d’être entonné en chœur par les fillonistes, copistes, datistes et autres NKMistes jamais pris en défaut d’anti-hollandisme primaire. Avant le vrai-faux off sur son éventuel retour en politique récemment balancé dans Valeurs actuelles, cet été, par voie de communiqué, Sarkozy avait officiellement regretté la passivité de son successeur dans la gestion de la crise syrienne. Sous-entendu : ce n’est pas un président normal qu’il nous faut pour arrêter le bain de sang levantin, le sauveur de Benghazi aurait fait mieux. Cette belle scénographie, avec happy end obligatoire, se voulait un rêve uchronique destiné à faire regretter aux Français – du moins à la frange étroite de nos compatriotes qui se soucient des affaires internationales – leur vote du 6 mai. C’est oublier un petit détail : Nicolas Sarkozy a présidé la République de 2007 à 2012. Engagé en Libye en 2011, il n’a pas moins assisté au déclenchement de la révolte syrienne, à sa militarisation et à sa dégénérescence en guerre civile incontrôlable dans laquelle la sanglante répression étatique n’a plus le monopole de la violence illégitime. Dans un éclair de sagesse, il avait voulu donner du temps en temps, les télégrammes diplomatiques décrivant une réalité bien plus complexe que sa retranscription manichéenne et spectaculaire. En gros, il fut décidé de ne pas intervenir en Syrie pour ne pas déstabiliser la région, Liban compris, et ajouter de la confusion à la confusion dans un conflit où le pogrom interconfessionnel menace de jaillir comme un diable de sa boîte. C’était il y a deux ans, cette époque lointaine où toutes les pontes de l’UMP se succédaient sur les plateaux télévisés pour nous expliquer en long, en large et en travers qu’Homs n’est pas Benghazi et que le camaïeu syrien ne survivrait pas à un coup de pinceau occidental. Et voilà qu’à l’été 2012, l’âge de la pré-retraite politique ayant sonné, Sarkozy et ses fidèles changent brusquement de braquet : désormais, il est urgent d’intervenir. Une posture confortable tant qu’on la tient loin du quai d’Orsay. Les plus optimistes en déduiront qu’une cure d’opposition vous fait revenir à l’éthique de conviction, là où l’exercice du pouvoir privilégie l’éthique de responsabilité et ses dilemmes cornéliens. Entre deux maux, Sarkozy et Hollande avaient choisi le moindre : ne rien faire, sinon fournir une assistance humanitaire aux allures de minimum syndical, et espérer que la bataille sur le terrain comme l’alliance entre le Qatar, la Turquie et l’Arabie Saoudite viennent à bout de la dictature syrienne. Or, Bachar résiste envers et contre tout. Ses maigres subsides, fournis par Téhéran et Moscou, suffisent pour l’instant à protéger le dernier réduit baathiste.
En France, où tout finit par des chansons, à l’hypocrisie d’une UMP revenue dans l’opposition, d’aucuns préféreront l’inconséquence de la gauche au pouvoir. Armer sans intervenir ménagerait nos finances publiques soumises à un régime spartiate mais les conséquences seraient-elles vraiment différentes sur le terrain ? Point de pertes humaines parmi les militaires français à déplorer, cela a son importance à l’heure où l’émotion gouverne. Mais côté syrien, même en assurant que les armes restent la propriété de l’opposition armée non-islamiste, comment contrôlerait-on le cours de la guerre ? Ce n’est pas en restant confiné à Paris ou même dans l’arrière-cour turque du conflit syrien que l’on pourrait influer sur son issue finale : armer et équiper des hommes n’a jamais suffi à inverser le rapport de forces. Rendre inéluctable la victoire militaire de l’opposition non-islamiste ne suffirait pas à lui garantir la victoire politique. Dans un pays devenu une juxtaposition de régions morcelées, pense-t-on vraiment que la fourniture de kalachnikovs, de missiles sol-airs et de munitions chassera le fantôme de la discorde en même temps qu’Assad ? Le moment venu, il ne suffira pas de démanteler les institutions étatiques baathistes pour recoller les morceaux d’une Syrie aussi fragmentée que sous le Mandat français. Vous me rétorquerez qu’une ingérence étrangère, entravée par les vetos russe et chinois, sonnerait le glas de la Syrie. Et vous aurez raison. De Gaulle disait que les grands problèmes n’ont pas de solutions : au XXIe siècle, cette parole désespérée n’a hélas rien perdu de son acuité…
*Photo : isafmedia.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !