Le mois dernier, il neigeait sur Damas. Les montagnes du Qalamoun, barrière naturelle entre la capitale syrienne et le Mont Liban, se couvraient de blanc et de rouge, pendant que l’Armée Syrienne Libre essuyait revers sur revers. L’ASL existe-t-elle encore ? Minée par ses divisions, rongée par les rivalités entre ses parrains sunnites (qataris, turcs et saoudiens) l’opposition syrienne laïque et « islamiste modérée » a littéralement explosé en vol ces derniers mois, laissant le régime de Damas dans un face à face avec les jihadistes. Alliés objectifs, les divers groupes affiliés à Al-Qaïda qui contrôlent le nord du pays et l’armée loyaliste syrienne tenaient les dernières troupes de l’ASL en tenaille fin 2013.
Mais voilà qu’avec le passage à la nouvelle année, le rapport de force interne à l’opposition s’inverse : alors que les jihadistes avaient fait main basse sur l’arsenal de l’ASL, les combattants rebelles assiègent aujourd’hui l’état-major d’Al-Qaïda au Levant, à Raqqa, au bord de l’Euphrate, dans le centre-est de la Syrie. Dans le grand écheveau régional, la mainmise des jihadistes irakiens sur la ville irakienne de Fallouja a sans doute dessillé les Occidentaux, qui observaient jusqu’alors les succès de l’armée syrienne avec une neutralité bienveillante, ne haussant les sourcils qu’en cas d’exactions trop flagrantes.
Au cours des dernières semaines, avec le concours du Hezbollah, des gardiens de la Révolution iraniens aidés d’une petite milice chiite irakienne, la soldatesque fidèle à Assad a ainsi reconquis la majeure partie du corridor qui sépare Damas de la frontière libanaise. Qui suit les combats sur une carte observe que les pilonnages quotidiens d’Alep, seconde ville du pays en plein sur la ligne de front, contrastent avec le calme relatif qui prévaut à Damas, où le quotidien n’est perturbé que par des tirs sporadiques d’obus de mortier, lancés par des rebelles postés aux portes de la ville. Au fil de l’entretien qu’il a accordé au journal libanais L’Hebdo Magazine, Fabrice Balanche nous livre quelques éléments indispensables pour comprendre la partition effective de la Syrie. D’après ce fin connaisseur de la région alaouite, Bachar Al-Assad serait sur le point de remporter une victoire à la Pyrrhus : « Sauf revirement géopolitique, je pense que la Syrie va encore subir deux ans de combats, dans le scénario le plus optimiste (…) Quand l’armée syrienne reprend des zones, elle n’est pas rejetée. Si, toutefois, le conflit devait s’éterniser, les zones tenues par les rebelles vont être complètement vidées de leurs habitants. Les Kurdes tiendraient le nord, les rebelles la vallée de l’Euphrate et les environs d’Alep, et le régime, du sud d’Alep jusqu’à la frontière jordanienne. Il n’y aurait plus de zones libres à 100%. Les Syriens auraient le choix entre le chaos et le retour du régime. »
Un constat que partage la flopée de chercheurs et de militants favorables à la rébellion signataires de l’ouvrage collectif Pas de printemps pour la Syrie (La Découverte, 2013), prenant acte de l’échec de l’Armée Syrienne Libre à faire vaciller le pouvoir baathiste. Par une savante combinaison de répression ultraviolente et de manœuvres confessionnelles, le régime de Damas a teinté de nationalisme un machiavélisme dont les résultats ne cessent de surprendre.
Face à cette reconquête, la mal-nommée « communauté internationale » agite un serpent de mer rampe aux portes de la Syrie : Genève-2, conférence internationale à laquelle seraient conviés l’Union Européenne, les Etats-Unis, l’opposition syrienne, la Ligue arabe mais aussi le régime de Damas et la République islamique d’Iran. Pour quels résultats : signer un cessez-le-feu, garantir le statu quo, pousser le pouvoir syrien à se démettre ? L’événement signerait en tout cas le grand retour des mollahs sur la scène internationale.
Les pasdaran pourraient en effet bientôt suppléer les maigres forces irakiennes pour reprendre Fallouja aux mains d’Al-Qaïda. Ils avancent également leurs pions au Liban, à feu et à sang depuis la fin de l’année. Les règlements de compte ont repris de plus belle à Beyrouth. Il y a à peine deux semaines, l’assassinat ciblé de Mohamed Chatah, proche collaborateur du clan Hariri et féal de l’Arabie Saoudite, a précédé de quelques jours un nouvel attentat contre un quartier chiite de Beyrouth. Le commanditaire saoudien de l’attaque contre la représentation diplomatique iranienne, Maged al-Maged, ayant opportunément été emporté par la maladie après son arrestation, il ne livrera pas ses secrets. De nouvelles actions violentes prévues contre les intérêts libanais du Hezbollah et de l’Iran ne sont pourtant pas à exclure.
Comme Alep flambe sous les bombes, la clé de la crise syrienne se trouve plus que jamais à mi-chemin entre Riyad et Téhéran. Entre ces deux gardiens de l’islam, la guerre froide ne fait que (re)commencer…
*Photo : Jaber al-Helo/AP/SIPA. AP21488091_000015.
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