Après cinq ans de collaboration plus ou moins cordiale avec Nicolas Sarkozy, pendant lesquelles il a semblé peu à l’aise avec la ligne atlantiste de Bernard Kouchner, l’ancien Premier ministre a réitéré, à Valtaï près de Novgorod, son engagement pour un monde multipolaire où une France indépendante pourrait tenir toute sa place. Dans la plus pure tradition gaulliste, il a choisi la Russie pour signifier à nos amis américains que, lui président, la France ne sera jamais aligné sur Washington. « Allié mais pas aligné » selon la formule consacrée. En soit rien de bien nouveau.
Mais le fait de donner du « cher Vladimir » à l’ennemi public n°1 de la presse française a constitué un crime de lèse-majesté, « une faute » selon Le Monde. Christophe Barbier a brandit un « carton jaune » dans l’Express. La tartufferie collective, de Harlem Désir à Alain Juppé, a consisté à l’attaquer sur l’irrespect d’une hypothétique union sacrée des français lorsqu’ils s’expriment à l‘étranger.
Une posture d’auto-défense maladroite qui a mal dissimulé la séquence peu glorieuse de la diplomatie française en Syrie. Jean-Marie Le Guen, pourtant habitué des campagnes douteuses à Abidjan, a ainsi critiqué « la semaine de tous les dérapages ». Fin connaisseur, il ajouté « À l’évidence, François Fillon n’habite plus en France ». Jean-Christophe Cambadélis, autre soutien de Laurent Gbagbo en 2010 a dénoncé « une demande d’asile » sur le modèle de Gérard Depardieu (attention le peloton d’exécution réservé aux traîtres n’est pas loin!). Pour un peu on oublierait les discours successifs de Dakar où Ségolène Royal et Martine Aubry avaient rivalisé d’indignation devant la politique africaine de Nicolas Sarkozy. Même François Hollande, au congrès du SPD en décembre 2011 avait plaidé pour « un couple franco-allemand plus équilibré », ciblant la supposée soumission de l’ancien président devant la chancelière (toute ressemblance avec un événement récent serait tout à fait fortuit). Quant à dire, comme Jacques Tarnero, dans Causeur.fr que François Fillon a osé se soumettre à Moscou comme jamais Georges Marchais ne l’aurait fait, c’est aller un peu vite en besogne! Georges Marchais, si ma mémoire est bonne a soutenu l’intervention soviétique en Afghanistan. Et on passera sur ses silences en 1956 à Budapest et en 1968 à Prague.
L’accusation de désertion portée à François Fillon est d’autant plus injuste qu’en réalité c’est François Hollande qui a rejoint la position russe, pas si mécontent de trouver une solution politique en Syrie. Une solution que François Fillon appelait de ses vœux dès le début de la guerre civile, bien avant l’accord Kerry-Lavrov. Tant pis pour Laurent Fabius, (oui oui le même qui tonnait contre le retour définitif de la France au sein des structures otaniennes il n’y a pas si longtemps), qui avait entonné le refrain du « plus vieil allié des Etats-Unis ». Il a semblé profiter de la désaffection britannique pour jouer les hérauts des droits de l’Homme, et finalement s’est trouvé cocu. N’ayant pas les moyens militaires d’intervenir seul, notre ministre des affaires étrangères aurait pu se contenter d’un rôle d’intermédiaire. En jouant les matamores, il a du avaler son chapeau. « On ne fait la paix qu’avec ses ennemis » disait Mitterrand à propos d’Israël. La gauche ferait bien de renouer avec le pragmatisme mitterrandien plutôt que de céder aux sirènes de ce qu’on a appelés aux Etats-Unis les « néo-conservateurs » et qui en France est représenté actuellement par une coalition hétéroclite regroupant Bernard Kouchner, Alain Juppé, Jean-François Copé, André Glucksman, BHL… et Nicolas Sarkozy.
À Valtaï, François Fillon, sans doute satisfait de voir ses idées se concrétiser avec l’accord sur les armes chimiques, a voulu pousser son avantage en renouant avec une liberté de ton et un tropisme gaullien, celui d’une Europe allant de l’Atlantique à l’Oural. Sa position équilibrée vis-à-vis de Moscou comme de Washington est ancienne. Dès 2009 en recevant Vladimir Poutine à Matignon, il avait encouragé Nicolas Sarkozy à resserrer ses liens avec la Russie. 2010 fut l’année de la Russie en France et sa visite à Moscou fut remarquée. En mars 2013, dans ses 35 propositions, il proposait un statut spécial pour la Russie en Europe. Aujourd’hui il confirme son souhait, qu’on pourrait qualifier de « réaliste », d’une paix mondiale reposant sur l’intérêt des nations réunies en congrès (AGNU) et sur l’équilibre des forces (CSNU). Un système à la fois multilatéral et respectueux des grandes puissances comme la Russie et la Chine. Un « machin » contraignant certes, mais plus efficace à long terme pour la paix que n’importe quel discours ou « intervention humanitaire armée ».
Sur la scène intérieure le choix de l’ancien Premier ministre de cibler le sectarisme est aussi la marque d’une fibre gaulliste retrouvée. Le refus des clivages partisans et le mépris du système des partis était une rengaine du général de Gaulle et du RPF. Lequel se moquait bien d’être traité de fasciste ou de factieux à longueur de colonne par Raymond Aron ou François Mitterrand. Le rassemblement des français autour de l’intérêt national était son seul objectif.
D’un point de vue tactique (il ne faut jamais l’occulter chez Fillon en dépit de son image d’homme sincère et intègre), la liberté de ton et la rupture avec les codes parisiens lui permettent également d’exister médiatiquement et d’imposer son tempo politique à ses concurrents directs. Il se débarrasse du même coup de cette étiquette de notable centriste qui lui colle à la peau. Il tire sans doute les leçons de celle que Le Monde accrocha en son temps à Edouard Balladur. Pour son plus grand malheur.
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