Attribuant la responsabilité d’une attaque chimique le 3 avril contre le village de Khan Cheikhoun à l’armée syrienne, le président des Etats-Unis a ordonné le 6 avril une frappe à distance contre la base aérienne syrienne d’Al-Chaayrate.
Par cette décision, déjà attendue en septembre 2013, mais repoussée par Barack Obama, Donald Trump rejoint le camp occidental et ses errances stratégiques portant la marque de l’émotion et de l’absence de réflexion, deux dérives de la diplomatie caricaturées par le fameux « il faut punir Assad ».
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Curieusement, ce n’est pas pour autant qu’il a rassuré les dirigeants occidentaux. Certes, ceux-ci ont approuvé cette réaction mais, vérifiant la parole biblique « on voit mieux la paille dans l’œil du voisin que la poutre dans son œil », ils ont quand même tempéré leur enthousiasme en insistant, dans une déclaration commune Merkel-Hollande (ce qui est assez notable pour être signalé) sur la nécessité de donner la priorité à la solution politique en Syrie. Si l’horreur des images de victimes et la détestation partagée d’Assad poussent à approuver cet acte punitif, les conditions du jugement, et le sens stratégique de la sentence soulèvent de sérieuses questions.
« America First »
Tout d’abord, voici un président, certes décrit comme imprévisible, mais qui avait cependant fait du dialogue avec Moscou et de l’économie de l’emploi de la force un axe politique qui paraissait sûr. En quelques heures, il s’affranchit de l’aval des institutions internationales et de l’appui de ses principaux alliés pour lancer un acte de guerre contre un Etat, honni mais souverain. Ajoutons que depuis vendredi, une flotte américaine converge vers la Méditerranée orientale et une autre vers la mer de Chine. Cependant que la Russie renforce ses défenses antiaériennes en Syrie.
Donald Trump revient donc à la politique de ses prédécesseurs et donne tout son sens au slogan « America First ». L’Amérique prioritaire… et seule. Ce faisant, il s’éloigne de la solution politique qui exigerait que tous les belligérants (à l’exclusion de l’Etat islamique et des multiples avatars d’Al-Qaïda) soient prêts à négocier. Or, certains groupes soutenus par l’Occident n’ont pas voulu rejoindre le double cycle de négociations – à Astana sous impulsion russe, à Genève avec l’ONU.
Cette frappe américaine relance les ambitions des belligérants: les groupes rebelles y trouvent une excuse supplémentaire pour refuser les pourparlers; la Turquie une raison de faire resurgir ses projets de démembrement de la Syrie et d’écrasement du peuple kurde; l’Etat islamique et les clones d’Al-Qaïda une justification à leur combat contre l’axe du mal (qui leur vaut le ralliement des combattants venus de l’étranger). Bref, la tension entre Etats-Unis et Russie reprend des airs de guerre froide et la chute d’Assad redevient une fin en soi et non plus un moyen.
Mais l’Amérique des faucons et l’Europe de l’émotion sont euphoriques autour du “commandant en chef”. Les morts sont chichement et surtout médiatiquement vengés. Pour la paix, les peuples orientaux sont priés d’attendre. À l’Ouest, rien de nouveau.
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