Le communiqué officiel de l’armée arabe syrienne ne laisse guère place au doute : Palmyre reconquise, les troupes se dirigeront dans les prochains mois vers Deir ez-Zor et Raqqa, aux mains de l’Etat islamique. Ainsi, l’entourage de Bachar Al-Assad semble avoir pris l’ascendant sur ses alliés iraniens et russes, maintenant la fiction d’une reconquête totale du territoire, bien au-delà de la « Syrie utile » du triangle Damas-Alep-Lattaquié. En apparence seulement.
La fin des Etats centralisés
Primo, il ne faut pas oublier l’apport décisif de l’aviation et des forces spéciales russes dans la victoire de Palmyre, également permise par l’appui du Hezbollah libanais flanqué d’autres miliciens chiites et d’officiers iraniens. Secundo, bien que les forces irakiennes progressent également sur la route de Mossoul aux dépens de Daech, la perspective d’une coupure en deux du territoire l’Etat islamique n’implique pas la résurrection mécanique de la Syrie et de l’Irak, comme un phénix renaîtrait de ses cendres. Il n’y a guère que la nomenklatura baathiste syrienne pour entretenir le mythe d’une Syrie unie. Les Russes ont donné leur feu vert à la fédéralisation des provinces kurdes du Rojava et, n’eût été le veto turc à cette autonomie, les Américains leurs auraient déjà emboîté le pas. Sur le terrain, malgré ses haussements d’épaule, Damas est bien content de compter sur l’appoint des unités kurdes pour tenir la dragée haute aux djihadistes de Daech dans l’Est du pays, aux confins de l’Irak. Lequel Etat a depuis longtemps laissé filer ses provinces du Nord aux mains du gouvernement autonome kurde d’Erbil.
Pas de Sunnistan qui tienne
Contre toute évidence, les soutiens au gouvernement de Damas parient malgré tout sur la « nationalisation » de la lutte contre Daech. Avec un argument de poids : la constitution d’un Sunnistan à cheval sur l’Irak et la Syrie serait à la fois un cataclysme et un mirage, dans la mesure où les sunnites des deux pays ne partagent ni la même histoire, ni la même identité. Hier au centre du jeu baathiste irakien, les sunnites se sont fait marginaliser à Bagdad au profit des dirigeants chiites liés à l’Iran. Quant aux sunnites syriens, ils représentent toujours la majorité de la « Syrie utile » aux mains des Assad ainsi que le gros des bataillons de l’armée syrienne, comme ne manquent pas de le rappeler les avocats du régime syrien, qui ne se réduit pas à son noyau dur alaouite.
Entre la perspective d’un Sunnistan binational et la nostalgie de la Syrie d’antan, les pro-Assad esquissent désormais une troisième voie réaliste qui n’est pas sans rappeler la politique de Poutine en Tchétchénie. Dans cette optique, il conviendrait alors de « nationaliser » les membres l’opposition armée fréquentable – ni le front Al-Nosra affilié à Al-Qaïda ni l’Etat islamique – qu’un Bachar Al-Assad magnanime consentirait à amnistier. Autrement dit, le président syrien cherche ses Kadyrov, du nom de l’indépendantiste islamiste tchétchène devenu l’ambassadeur du Kremlin dans la république caucasienne au début des années 2000.
Scénario tchétchène
Si l’on en croit le scénario tchétchène, l’hypothèse d’un ralliement négocié à Damas des éléments salafistes aujourd’hui liés à l’Arabie saoudite et à la Turquie que forment le Front de la conquête, s’il n’est pas gagné d’avance, n’anéantirait pas en outre la spirale djihadiste. Un semblant de pacification, que les envoyés de Damas essaient d’obtenir à Genève en échange de la perpétuation d’un ordre politique que l’on croyait condamné, serait déjà une victoire pour le parti-Etat panarabe. Peu importe que le lien entre Damas, Qamishli dans le Nord-Est kurde et éventuellement Raqqa, ne soit plus que ténu, sinon virtuel. Dans ce schéma, des seigneurs de la guerre sunnites reconvertis en potentats locaux islamo-mafieux assureraient le lien avec l’Etat central et accepteraient de faire allégeance au tyran alaouite, certes affaibli, moyennant leur lot d’argent détourné.
Par le jeu des vases communicants, les attentats de Paris et de Bruxelles ont redoré le blason du raïs syrien, que les chancelleries occidentales préfèrent de loin aux terroristes daechiens. Mais, à la grande affliction de ses protecteurs russes et iraniens, qui le poussent à transiger, Assad est encore loin d’avoir commencé son chemin de Damas.
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