Pauvre Kofi Annan… son nom ne semble pas porter bonheur aux différents plans de paix éponymes. Le premier plan Annan fut négocié par l’ancien secrétaire des Nations-Unies afin de réunifier les deux Etats chypriotes au sein d’une République fédérale unie. Or, suite à son rejet par la partie grecque, l’initiative fut abandonnée. Le premier plan Annan sur la Syrie a lui aussi fait long feu. Le principe était pourtant louable : mettre un pied dans la porte pour essayer coûte que coûte d’en élargir l’ouverture.
Mais pour avancer, il faut un rapport de force favorable et le clan au pouvoir à Damas ne se sent pas obligé de faire des concessions, surtout sur les fondamentaux de sa stratégie de lutte contre la rébellion : empêcher à tout prix la création d’une place Tahrir et/ou d’un Benghazi sur son territoire. Autrement dit, tolérance zéro pour toute atteinte à la souveraineté nationale, aussi minime et symbolique soit-elle.
Le premier plan Annan syrien, voté en février et mis en exécution le 15 avril dernier s’appuyait déjà sur des ambiguïtés, laissant la porte ouverte à la création d’une ou de plusieurs « place Tahrir », c’est-à-dire des endroits publics où les manifestations pacifiques seraient de facto tolérées. Ainsi, le point six du plan appelait à « respecter la liberté d’association et le droit de manifester pacifiquement. » On connaît la suite : Assad a dit oui pour gagner du temps puis a tout mis en œuvre pour vider l’accord de son sens, conditionnant par exemple le déroulement des manifestations à l’accord préalable des autorités compétentes… chapeau l’artiste !
Quant au second plan Annan sur la Syrie, s’il ne semble pas mieux parti que le précédent, ce n’est pas faute d’ambition. S’il s’agissait précédemment de sanctuariser les manifestations pacifiques contre le pouvoir, entre les lignes, le nouveau plan vise ni plus ni moins à permettre la création de zones libres : des « Benghazi » à la syrienne où les rebelles ne seraient pas inquiétés.
En langage diplomatique, cela s’appelle : « une cessation localisée de la violence, sans nécessairement exiger un désarmement des insurgés ». Concrètement, dans certaines régions, des voies de sortie sécurisées seraient ouvertes pour permettre aux insurgés de partir vers des zones moins violentes. On peut imaginer que ces « zones moins violentes », surtout si elles étaient adossées à une frontière internationale, deviendraient rapidement des émirats sinon des micro-Etats où la souveraineté de Damas ne serait plus que nominale, et encore… Si l’armée syrienne ne pouvait plus pénétrer dans ces zones, difficile d’ imaginer que les policiers, les juges ou les agents du fisc s’y risqueraient. En d’autres termes, le chemin qui mène à la libanisation de la Syrie n’est plus très loin. Sans y voir de contradiction, Annan attend que celui qui, il y a à peine trois mois, avait refusé d’avaler la pilule d’une place Tahrir syrienne, boive aujourd’hui le calice d’une capitale rebelle sanctuarisée.
Kofi Annan aura beau faire le tour des capitales régionales et passer des heures à dialoguer avec Assad; aussi longtemps qu’il ne se sent pas réellement menacé, le pouvoir en place ne cèdera pas d’un pouce. Hélas, en matière de plans de paix, le nom d’Annan va vraisemblablement encore porter la poisse.
*Photo : FreedomHouse2. « Que les deux parties cessent toute violence et nouent le dialogue ».
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