Le Synode qui vient de se terminer à Rome aura été marqué d’un grand souffle pontifical tempéré d’une infinie prudence.
Commenter ces trois semaines, importantes pour la vie de notre Eglise, n’est pas chose facile lorsqu’on n’a pas vécu l’événement de près mais essentiellement à travers le regard de nos confrères journalistes auxquels il faut rendre ici hommage. Difficile également alors que le rapport final n’est pas encore disponible en français et que, le soulignera-t-on assez, le dernier mot appartient au pape François dont le « document sur la famille », demandé explicitement par le Synode, sera vraisemblablement publié en 2016, sous forme d’exhortation apostolique, dans le cadre de l’année de la Miséricorde.
J’ai beaucoup écrit, dans ce blogue, à propos de ce Synode. Toujours pour plaider une nécessaire prise en compte de la réalité, aujourd’hui plurielle, des situations familiales, dans nos sociétés et dans l’Eglise. Je ne m’en sens que plus libre pour réaffirmer ici, avec les pères du Synode, que la famille est bien aujourd’hui un rempart contre tous les risques de déshumanisation de nos sociétés. Et que la proposition du mariage chrétien reposant sur la liberté du choix, la fidélité, la durée, la fécondité vaut d’autant plus la peine d’être présentée aux jeunes générations qu’elle rejoint, le plus souvent, le projet qu’ils portent au plus profond d’eux-mêmes. Je ne suis donc nullement «choqué» que le Synode ait eu à cœur de rappeler, de manière privilégiée, son soutien à toutes celles et ceux qui veulent s’engager dans cette voie et à tous ceux qui les y aident.
Mais on le sait aussi, l’enjeu était bien plus vaste qui invite notre Eglise, retrouvant l’esprit de Vatican II[1. Je crains que ceux qui contestent l’existence d’un «esprit de Vatican», en s’appuyant sur des déclarations pontificales, expriment surtout le fait qu’ils ne l’ont pas rencontré.] à accepter le poids du réel, à jeter un regard généreux sur ce que vivent des millions d’hommes et de femmes «de bonne volonté» qui ne partagent pas notre foi, à panser toutes les plaies sans le préalable d’une adhésion formelle au catéchisme de l’Eglise catholique, bref : à mobiliser son énergie sur le service du bien, plus que sur la dénonciation obsessionnelle du mal.
Je trouve, dans le Synode qui s’achève, trois motifs essentiels de satisfaction.
Il est bon que, sur la question des divorcés-remariés, le pape François ait obtenu le soutien d’une majorité des pères du Synode. Cette évolution était non seulement pastoralement nécessaire mais théologiquement possible. Elle n’ouvre nullement sur une remise en cause de l’indissolubilité du mariage mais sur la réintégration, au cas par cas, après discernement, de certaines personnes dans la vie sacramentelle.
Il est bon que, rompant avec une approche exclusivement juridique et chez certains quasi janséniste du christianisme, le Synode se soit engagé dans la voie de l’écoute, de l’accueil, de la miséricorde, permettant au pape François de déclarer dans son discours de clôture : « L’expérience du Synode nous a fait aussi mieux comprendre que les vrais défenseurs de la doctrine ne sont pas ceux qui défendent la lettre mais l’esprit; non les idées mais l’homme; non les formules mais la gratuité de l’amour de Dieu et de son pardon.»
Il est bon, enfin, que malgré les réticences, les pères du Synode aient pu faire l’expérience d’un vrai débat en Eglise, sans langue de bois, ouvrant – on l’espère – un élargissement durable de la collégialité dans le gouvernement de l’Eglise. Car s’il est vrai que l’institution synodale avait été souhaitée par Vatican II, sa mise en œuvre, précipitée, par le pape Paul VI, avant même que le Concile ait pu débattre de ses modalités, l’a longtemps cantonnée à n’être qu’un lieu de consultation purement formelle.
Derrière ces motifs de satisfaction se cachent, pour moi, autant de regrets.
Regret que sur la question de la contraception le Synode ne se soit pas senti autorisé à reconnaître aux couples la liberté du choix des méthodes par lesquelles ils «maîtrisent leur fécondité», comme l’Eglise leur en reconnaît le droit. Un déni de la réalité qu’aucune pédagogie dans l’enseignement d’Humanae Vitae ne viendra compenser. Face à un monde qui déresponsabilise, l’Eglise ne gagnerait-elle pas plus à faire le pari de la confiance, qu’à rappeler un improbable interdit de la Loi naturelle ?
Regret que sur la question homosexuelle, le Synode – comme cela était prévisible – ait choisi de se cacher derrière son petit doigt, n’effleurant le sujet qu’au travers des familles confrontées à cette réalité, feignant ainsi d’ignorer que ces homosexuels, hommes et femmes, sont bien présents dans nos communautés. On sait la question difficile et l’opinion catholique peu ouverte, non seulement en Afrique mais également chez nous, comme en témoignent des crispations récentes et démesurées autour d’un article du quotidien la Croix.
Regret que ce même Synode qui invite pourtant à une forme de diaconie renforcée au service des familles et de l’accompagnement des jeunes couples, n’ait même pas osé poser la question, pourtant évoquée devant l’assemblée, d’une ouverture possible au diaconat féminin. Qui, mieux que des femmes, est à même de concrétiser dans la vie de notre Eglise, cet appel du Synode à se faire proche des réalités familiales ? Qu’est-ce qui théologiquement s’oppose à réintroduire dans l’Eglise ce que son Histoire atteste avoir existé dans le passé ?
Le Synode romain pouvait-il montrer plus d’audace ? Question forcément sans réponse ! On peut lire, entre les lignes des commentateurs de la presse catholique, comme dans la litote épiscopale tellement proche des «éléments de langage» propres à la classe politique, qu’il était, plus que tout, essentiel de savoir jusqu’où aller trop loin, sans prendre le risque de décourager les tenants du statu quo. Combien de fois avons-nous réentendu que ce Synode se voulait pastoral et ne toucherait pas à la doctrine ? Avec, Dieu merci, l’heureux rappel historique de Mgr Gérard Defois écrivant dans La Croix : «Réduire la pastorale à la mise en œuvre d’une formulation dogmatique à la fois juridique et scolastique, c’est retourner aux débats de 1962 quand fut remis aux pères conciliaires le premier schéma sur l’Eglise, copie conforme de la théologie du XIXe siècle.» On ne saurait mieux dire.
Beaucoup a donc été fait, et nous en remercions les pères du Synode, même si l’essentiel reste à engager. Car si l’enjeu pour l’Eglise est bien d’apparaître « aux hommes et aux femmes de ce temps », et non aux seuls catholiques, comme porteuse d’une bonne nouvelle donnant sens à ce qu’ils expérimentent dans leur vie, il faudra bien combler un peu le fossé qui ne cesse de s’élargir entre l’une et l’autre. Et continuer à creuser l’intelligence que nous avons des Ecritures et de notre Tradition. Sans se réfugier derrière la fausse accusation d’une reddition à l’air du temps.
A ce stade, faut-il satisfaire tous ceux qui, en embuscade et l’œil gourmand, attendent que je fasse ici l’aveu d’une forme de déception ? Sûrement pas ! Si, pour moi, il n’y a pas déception, c’est parce que je fais confiance au pape François. Confiance pour qu’il tire des travaux de ce Synode, une juste interprétation du sensus fidei qui, sur la famille et le couple, invite à renouveler l’enseignement du magistère. Confiance pour que, de vertu cardinale, la prudence qui a régné sur l’assemblée qui s’achève, ne soit pas promue théologale. Confiance pour qu’avec le soutien de l’Esprit saint – et le nôtre – le pape François ait devant lui, le temps nécessaire pour convaincre les plus rétifs qu’il est aujourd’hui possible de faire entrer l’Eglise dans un nouveau printemps.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00727188_000008.
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