Le syndrome de Stockholm, qui n’est pas lié à une curiosité pathologique, relève de ce que des chercheurs en psychologie évolutionnaire désignent comme l’«attachement par capture».
Stupeur, trahison et ingratitude. Ainsi pourrait-on résumer l’état d’esprit de l’opinion italienne depuis le retour, à la mi-mai, de Silvia Romano, otage du groupe terroriste Al-Shabab depuis 2018 et libérée grâce au paiement d’une rançon estimée à plusieurs millions d’euros de deniers publics. La raison du tumulte ? Silvia Romano, qui se fait désormais appeler Aïcha, s’est convertie à l’islam rigoriste de ses geôliers. Celle qui fut enlevée alors qu’elle était en mission humanitaire au Kenya niait cependant avoir changé sous la contrainte. Elle avait simplement lu le Coran durant sa captivité et la religion musulmane l’avait captivée. Le même scénario s’est déroulé en France en octobre après la libération de Sophie Pétronin, otage de djihadistes maliens durant quatre ans. Pétronin se fait désormais appeler Mariam et, comme son homologue italienne, affirme s’être convertie de son plein gré.
L’attachement par capture
Ces affaires fleurent bon le syndrome de Stockholm – conceptualisé par le psychiatre Nils Bejerot après un hold-up dans une banque de la capitale suédoise à l’été 1973, qui avait vu les otages prendre fait et cause pour les braqueurs. Le phénomène, qui n’a rien d’une curiosité pathologique, relève de ce que des chercheurs en psychologie évolutionnaire désignent comme l’« attachement par capture ». Lorsqu’un individu est isolé de son cercle social habituel et soumis au joug de tiers tenant littéralement sa vie entre leurs mains, les chances qu’il en vienne à changer son mode de pensée et à déplacer sa loyauté d’une façon aussi radicale que soudaine sont élevées. Pour une raison simple : dans un tel contexte, cette réorientation sociale a tout d’une carte survie. Dans sa forme la plus pure, l’attachement par capture s’active durant les prises d’otage et les séquestrations, mais il est aussi décelable dans d’autres phénomènes plus ou moins tragiques : syndrome de la femme battue, embrigadement sectaire, séminaires d’entreprise ou émissions de télé-réalité exigeant de leurs concurrents une réclusion dans un loft de La Plaine-Saint-Denis ou sur une île thaïlandaise.
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Comment un tel trait a-t-il pu améliorer le succès reproductif de nos ancêtres au cours des millions d’années où ces primates sociaux ont vivoté dans de petites hordes ? Les données archéologiques, qu’elles concernent l’Afrique, l’Amérique du Nord ou l’Amérique du Sud, indiquent que la capture par un clan extérieur à celui de sa naissance y était un événement fréquent. Le sujet est même encore saillant dans la mémoire des nomades et des chasseurs-cueilleurs contemporains – en particulier dans le riche corpus sur les Yanomamö d’Amazonie établi par l’anthropologue Napoléon Chagnon. Pas besoin de remonter les générations pendant des lustres pour trouver un parent – et surtout une parente – qui en a fait les frais. Des études génétiques enfoncent le clou : en Islande, la plupart des femmes constituant le peuplement originel de l’île n’étaient pas scandinaves, mais venaient des régions connues aujourd’hui sous les noms de France et d’Angleterre. Si la génétique des populations n’a aucun moyen de le prouver, il y a cependant de lourdes raisons de croire qu’elles n’ont pas sauté de joie lorsque des Vikings les ont jetées dans leurs bateaux voici une quarantaine de générations.
Se battre pour se protéger et protéger ses apparentés
De fait, guerre et viol sont des amis de longue date. S’il a fallu attendre les années 1990, avec le génocide au Rwanda et la guerre des Balkans, pour que le drame du « sexe de la femme comme champ de bataille » devienne un sujet de préoccupation internationale, il est universel dans l’espace et dans le temps. On le détecte chez Homère, dans la Torah, la chronique anglo-saxonne ou la mythologie avec l’enlèvement des Sabines. Comme le détaille là encore Napoléon Chagnon, la promesse d’un accès aux femmes des adversaires est l’une des premières motivations explicites d’un conflit dans les sociétés de petites échelles, celles que l’on a longtemps qualifiées de primitives. Mais le phénomène n’a pas disparu, loin de là, avec les guerres des sociétés modernes. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en Europe occidentale, on estime que la fréquence des viols a augmenté de 300 à 400 % avec l’arrivée des Alliés et que 5 % des grossesses d’après-guerre ont été imputables à ces viols. Plus à l’Est, les hypothèses les plus basses font état de plus d’un million de femmes violées par les soldats de l’Armée rouge. Durant la troisième guerre indo-pakistanaise, qui se soldera par l’indépendance du Bangladesh, environ 200 000 femmes ont été violées par les soldats pakistanais en seulement quelques mois de 1971 et 1972. Selon des chiffres de 2004 de l’Organisation mondiale de la santé, 50 % des femmes avaient été violées dans certaines zones de conflit, souvent de manière répétée – la palme du pire revenant à l’époque à l’Afrique des Grands Lacs, où l’interdiction de l’avortement, largement répandue, a abouti à un nombre très élevé de grossesses consécutives à des viols.
Nous sommes les héritiers de temps et de lieux où la contraception scientifique était aussi inexistante que les rapts étaient courants. Se battre pour se protéger et protéger ses apparentés est une bonne stratégie pour ses gènes, mais lorsqu’on est capturé et qu’il est impossible de s’échapper, éviter la mort et tirer le meilleur parti possible de la nouvelle situation est également une très bonne technique pour les perpétuer. En particulier, elle est bénéfique pour des gènes façonnant des esprits capables de se débarrasser d’attaches émotionnelles antérieures pour créer de nouveaux liens avec ceux et celles qui vous ont ravi. Le processus ne doit être ni trop rapide (du côté de votre clan d’origine, on pourrait chercher à venir vous sauver) ni trop lent (parce que la patience de vos ravisseurs a ses limites). Résultat : la sélection naturelle nous a offert des mécanismes psychologiques permettant l’attachement par capture, soit la réorientation des mêmes processus sociaux qui avaient constitué nos premiers liens dans la fabrication des seconds, cette fois-ci galvanisés par la violence, la peur et l’isolement. Les plus aptes à cette « réorientation sociale » sont devenus nos ancêtres, les gènes des autres sont restés sur le carreau et l’indignation face aux « traîtres » tombés en pâmoison devant les coutumes de leurs tortionnaires n’en a pas fini de gronder.
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