Il faut en finir avec le retard français. Cette antienne sert de feuille de route aux médias et aux politiques, chacun choisissant dans la longue liste des refus de modernité celui qui lui va le mieux au teint. De ce point de vue, les mœurs sont un terrain de jeux de prédilection de la république des lettres et des faiseurs d’opinion. Certes, les choses ne sont pas toujours simples parce que, comme l’avait annoncé Muray, le moderne se cogne souvent au moderne de sorte qu’un moderne chasse l’autre. Les mêmes qui hurlent à la pédophilie et réclament les sanctions les plus sévères quand une adolescente de 17 ans se tire avec un coquin de quadra rencontré sur Internet exigent que le droit avance dans les plus brefs délais pour se mettre en conformité avec le désir d’enfant devenu un droit pour tous. Il y a 30 ans, on voulait jouir sans entraves – ce qui était un peu niais, mais au moins sympathique. Les filles découvraient qu’elles pouvaient dire « un enfant, si je veux ». Aujourd’hui, c’est plutôt « un enfant quand je veux », comme je veux, avec qui je veux, et que ça saute. Mais au bout du compte, l’objectif est de pouvoir reproduire le modèle de papa-maman, même si c’est sous la forme de papa-papa et de maman-maman. Le combat pour l’homoparentalité s’affiche sous les espèces du progrès et de l’émancipation, mais quand on regarde bien, il n’est pas très rock and roll. Passons.
Emmanuelle donc va pouvoir adopter un enfant. Et même adoptater. Il faut vous dire qu’Emmanuelle, je la connais depuis un petit bout de temps, parce que, comme le répètent les gazettes, cela fait onze ans que cette instit de Lons-Le-Saunier se bat pour adopter un enfant. Dans le cours de ses démêlés administrativo-judiciaires, un titre de Libé nous avait enchantés, Philippe Muray et moi-même. Quelque chose comme : « Un couple de lesbiennes se voit refuser le droit à l’adoptation ». Cette coquille en forme d’aveu révélait bien le caractère vaguement incongru de cette adoptation-là qui était surtout une injonction à s’adapter au nouvel ordre. Aujourd’hui, Libé mesure « l’absurdité du chemin de croix qu’ont dû emprunter pendant onze ans Emmanuelle B. et Laurence R. pour faire valoir leur envie de parentalité ». Quelle envie impérieuse pourrais-je bien faire valoir auprès de la justice de mon pays ?
Si la décision du tribunal enjoignant au Conseil général du Doubs de délivrer son agrément à Emmanuelle a été saluée de toutes parts comme une glorieuse avancée vers un monde meilleur, c’est parce que, contrairement à ce que font beaucoup de gens dans son cas, Emmanuelle n’a jamais caché qu’elle vivait avec Laurence. Mais il ne s’agit pas de s’arrêter en si bon chemin. La France est à la traîne, combien de fois faudra-t-il vous le dire. Alors que d’autres pays ont légalisé l’adoption homosexuelle et que la Cour européenne des droits de l’Homme condamne régulièrement nos pratiques discriminatoires, combien de temps allons-nous résister à la marche du progrès ?
Précisons que dans le cas précis d’Emmanuelle, il n’y a nullement scandale. L’ennui, c’est ce qui va suivre. En effet, Emmanuelle adoptera seule. Du point de vue de la loi, elle sera la mère d’un enfant de père inconnu. Or, contrairement à ce que jacassent les défenseuses des droits de l’enfant, le problème n’est pas qu’un enfant soit élevé par deux hommes ou deux femmes. Les parents hétérosexuels et parfaitement toxiques sont légion. Je connais pas mal de garçons qui ont fait des enfants par « les voies naturelles » avant de changer de camp, si on peut dire. Leurs enfants vont bien, merci. La vie concrète se débrouille toujours.
L’ordre symbolique, c’est un peu moins fun. Ça ne se change pas par pétition, ni pour assouvir les envies de parentalité. Et, jusqu’à preuve du contraire, c’est fondé sur la division entre les sexes – et aussi sur la distinction entre les morts et les vivants : il n’est pas très étonnant qu’une dame ait récemment exigé d’avoir un enfant de son mari mort et que les pleureuses de service se soient déchaînées contre la justice sans cœur qui le lui a refusé. Personne ne prétend qu’une veuve est incapable d’élever un enfant. Mais on peut trouver fâcheuse l’idée que les morts puissent se reproduire. Pour l’instant.
C’est exactement la même chose pour l’homoparentalité. Qu’un enfant puisse être élevé par deux femmes ou deux hommes ne signifie pas qu’il peut avoir deux pères ou deux mères. Sur France 5, l’autre soir, une journaliste se désolait que des hommes aient à cacher leur homosexualité pour avoir une chance de devenir père. À mon avis, ils feraient mieux d’y renoncer une heure durant (douche comprise), ça leur simplifierait la vie, mais ce que j’en dis. Les hommes et les femmes ont encore besoin les uns des autres pour se reproduire, serait-ce via des médiations techniques. Mais peut-être est-ce avec cette altérité-là que veulent en finir les ravis de l’adoptation. Peut-être parviendront-ils pour notre malheur, en tout cas pour le mien, à réaliser l’affriolante prophétie de Vigny dans « La Colère de Samson » :
« Bientôt, se retirant dans un hideux royaume,
La Femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome,
Et, se jetant, de loin, un regard irrité,
Les deux sexes mourront chacun de son côté. »
Que l’on donne le droit à des homosexuels affichés d’adopter seuls, comme n’importe quel autre citoyen, aucun problème. Mais la reconnaissance de l’adoption homosexuelle reviendrait à légaliser un gros mensonge anthropologique. On me dira que dans une adoption « classique », les parents adoptifs ne sont pas les vrais parents. Certes, mais cette filiation légale s’inscrit dans le même dispositif symbolique que la filiation naturelle. Seulement, les militants de l’homoparentalité ne voient aucune raison de s’embêter avec les vieilles lois de la nature. Puisque la science le peut et que je le veux, où est le problème ? Qu’ils prennent patience, on pourra certainement pratiquer un jour l’auto-reproduction, ce qui nous dispensera de la peine d’avoir à fréquenter nos prochains de tous sexes. Et c’est ainsi que l’évolution du droit nous privera du droit à l’évolution.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !