Nous publions ici les bonnes feuilles du dernier livre de la journaliste Sylvie Perez, En finir avec le wokisme. Récit d’une contre-offensive anglo-saxonne, publié aux éditions du Cerf.
Retrouvez également Sylvie Perez en discussion avec Jeremy Stubbs dans le dernier épisode de notre podcast • |
Le monde à l’endroit
Le néo-progressisme anglo-saxon a un coup d’avance. Ses inventions arrivent chez nous avec un temps de retard. Ce qui se joue ici, le plus souvent, s’est joué là-bas un peu plus tôt. En sorte qu’observer l’évolution de cette mouvance dans l’anglosphère est un moyen de lire l’avenir. Or, là où il a été conçu et mis en œuvre, le wokisme est aujourd’hui la cible d’esprits critiques qui démasquent ses slogans et documentent ses impasses. Les avancées du laboratoire anti-woke sont ourdies par des esprits contrariants de tous horizons philosophiques, politiques, religieux ou ethniques. Ils se préoccupent de contenir cette idéologie brouillonne qui ébranle et fragilise jusqu’au socle des institutions ; ils n’ont en commun que le refus catégorique de la post-vérité et s’affairent à déjouer l’avènement d’un monde orwellien. La question transcende les familles politiques et mobilise une nouvelle catégorie de bretteurs, politiquement non-binaires. Le wokisme, instigateur de fluidité et de trans-identité, aura aussi engendré la trans-politique !
Depuis Londres, point d’étape du wokisme entre l’Amérique et la France, j’ai pu observer l’élaboration des stratégies de réponse et le sursaut en cours. Si le wokisme est un mouvement sismique initié dès les années 1980, ses effets les plus extravagants apparurent ces dix dernières années. Comme l’écrivait Simon Leys[1] : « L’histoire a déjà montré à plusieurs reprises qu’il ne faut pas grand-chose pour faire basculer des millions d’hommes dans l’enfer de 1984 : il suffit pour cela d’une poignée de voyous organisés et déterminés. Ceux-ci tirent l’essentiel de leur force du silence et de l’aveuglement des honnêtes gens. »
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Optimistes et déterminés, les dissidents du wokisme ont élaboré les outils de la résistance. Parmi eux, quelques génies de la tech exaspérés par la bien-pensance de la Silicon Valley, quelques féministes qui aiment les hommes, quelques humoristes casse-cou qui se rient de tout, quelques juristes attachés aux principes fondamentaux du droit, quelques artistes qui se détournent du réalisme progressiste et s’occupent de créer plutôt que d’éduquer le peuple, quelques doctorants qui veulent sauver l’université, quelques acharnés qui décodent la novlangue politiquement correcte, quelques absolutistes de la liberté d’expression qui ne sont pas dupes des sermons contre les ‘discours de haine’, quelques représentants de la communauté noire peu disposés à servir de marionnettes aux associations antiracistes, quelques transgenres qui n’ont nul besoin de nier la biologie pour exister, tout un monde qui préfère rester vivant plutôt que gaspiller ses efforts à s’autocensurer et dénoncer le mal-pensant.
Déjà, d’excellents ouvrages sont parus en France, qui documentent les effets du wokisme. Celui-ci en chronique la riposte, mise au point par les promoteurs d’une société qui réhabilite l’ironie et le mauvais esprit, valorise le génie humain, la diversité d’opinions, l’invention, la recherche, le savoir, le mérite, une société où l’on respire à nouveau. Une société, quoi.
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Le passé n’est plus ce qu’il était
L’association History Reclaimed (L’histoire réhabilitée), se constitue en août 2021 pour contrebalancer l’instrumentalisation woke de l’histoire, qui réduit le passé occidental à trois sacrilèges : le colonialisme, l’impérialisme, le racisme. Constatant que cette vision manichéenne se mue en doxa, les historiens s’impliquent dans les guerres culturelles. Le site History Reclaimed leur est ouvert pour rétablir les vérités complexes, instaurer de la nuance, apporter une perspective historique au débat… historique.
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Le wokisme s’est focalisé sur l’histoire du commerce triangulaire et de l’épisode effroyable de la traite des Noirs. On voudrait réparer le passé sous la forme de compensations financières pour les descendants d’esclaves. Robert Tombs, professeur d’histoire à Cambridge et fondateur d’History Reclaimed, doute du bien-fondé de cette démarche. Selon lui, le projet de recherche financé par l’université de Cambridge quant à ses liens avec l’esclavage et la nécessité d’envisager des réparations, est une opération de relations publiques plutôt qu’un projet académique : « Si la question est : « l’université a-t-elle bénéficié de l’esclavage ? », la réponse est évidemment oui. Toutes les institutions européennes ont bénéficié, directement ou indirectement, des revenus d’industries esclavagistes (sucre, coton, tabac), me dit-il. Ce qui caractérise Cambridge ce sont ses actions contre l’esclavage. En 1785, le vice-chancellier de l’université a lancé ce sujet d’étude : « Peut-on réduire des hommes en esclavage contre leur volonté ? » L’étudiant Thomas Clarkson (1760-1846) a reçu un prix pour son essai, après quoi il n’a cessé de militer pour l’abolition de l’esclavage. En 1789, un jeune député Tory, William Wilberforce, également diplômé de Cambridge, a mené aux Communes une campagne contre la traite négrière qui a conduit à l’abolition. Donc, si l’université a reçu de l’argent d’industriels ayant bâti leur fortune sur le commerce des esclaves, elle a aussi été très active pour bannir l’esclavage. Seulement, ce programme de recherche étant diligenté dans le cadre « d’initiatives sur l’égalité des races », l’objectif est de s’auto-flageller pour pouvoir clamer : « regardez comme nous sommes vertueux ». Ce serait une bonne idée de proposer des bourses pour les étudiants africains, non par souci de réparations, mais parce que nous n’avons plus d’étudiants africains. C’est dommage.»
Comprendre le présent à la lumière du passé plutôt que juger le passé à la lumière du présent. (…) L’association de Robert Tombs entreprend de désamorcer les mines woke sur le champ de bataille qu’est devenue l’histoire. Le site se présente comme un journal savant numérique, publie les contributions d’historiens, propose un podcast, l’accès à des sources historiques fiables, des listes de lectures, un prix du livre d’histoire et des débats sur les sujets qui font le buzz.
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Scandale sanitaire
Qu’allaient pouvoir faire deux modestes psychothérapeutes face à un mouvement de société aussi puissant ? J’ai rencontré Marcus et Sue Evans le 3 février 2020 pour parler des affaires qui les ont propulsés à la une de la presse britannique. Le couple Evans se trouve alors embarqué dans une audacieuse tourmente juridique. Marcus Evans a démissionné l’an dernier du directoire du Tavistock & Portman NHS Trust, à Londres, qui abrite le GIDS (Gender Identity Development Service), la plus grande clinique du genre pour mineurs au monde. Sue Evans, quant à elle, intente une action en justice contre le même Tavistock auquel elle reproche d’infliger aux enfants des traitements hormonaux expérimentaux. (…)
Comme aux Usa, la dysphorie de genre s’est propagée au Royaume-Uni. Le nombre d’enfants consultant au GIDS est passé de 77 en 2009 à 5000 en 2021, soit une augmentation de 6400%. Et le chiffre a doublé en deux ans seulement, entre 2019 (2500) et 2021 (5000). « La contagion sociale est préoccupante, parmi les filles notamment, qui représentent aujourd’hui 76% des patients, me dit Marcus Evans. Cette situation est inédite. Or aucune recherche sérieuse n’est entreprise sur ce sujet. » (…)
Sue Evans a travaillé au GIDS entre 2003 et 2014. S’apercevant que les enfants sont orientés hâtivement vers des traitements hormonaux, elle s’en inquiète auprès de la direction. Malgré une enquête interne, rien ne change. « On voyait des jeunes à qui on prescrivait des hormones, après seulement trois ou quatre sessions de psychothérapie, me dit Sue Evans. Il m’était arrivé de suivre des patients pendant deux ans, pour des problèmes de désordres alimentaires. Jamais je n’aurais pu les guérir au bout de quatre consultations ! Le transgenrisme est comparable. Le patient est très déterminé dans son récit. Il a cerné le problème (je ne suis pas né dans le bon corps) et la solution (il faut que je change de sexe). Un patient souffrant d’anorexie est persuadé qu’il est trop gros. Abonder dans son sens ne l’aidera pas. L’approche affirmative préconisée par les associations transgenres consiste à souscrire d’emblée au récit du patient et l’envoyer chez l’endocrinologue. Ça n’a pas de sens. La psychothérapie aspire à adapter l’esprit au corps, et non à modifier le corps pour qu’il corresponde à l’idée que le patient s’en fait. Les militants transgenres veulent soustraire la dysphorie de genre du champ psychologique.»
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Pour soigner la dysphorie de genre, le couple Evans préconise une thérapie exploratoire, plutôt qu’affirmative. « On écoute le patient, on l’interroge sur son problème d’identification de genre, mais aussi sur son environnement familial, scolaire, on essaie de comprendre ensemble sa souffrance. Dans 90% des cas, sans traitement hormonal, le patient finit par se réconcilier avec son corps, m’explique Marcus Evans. La puberté est une étape complexe, anxiogène. Toute une palette de problèmes sont en jeu à l’adolescence, moment de métamorphose sociologique, psychologique, physiologique. Il faut laisser les jeunes traverser cette phase de la façon la plus naturelle possible au moins jusqu’à 25 ans, âge auquel ils deviennent plus apaisés, ils assument leur corps, leur sexualité. Les activistes disent que les bloqueurs de puberté sont « juste une pause ». Mais il n’y a pas de bouton « pause » dans le développement d’un enfant ! En interrompant son évolution, vous le soustrayez à son groupe d’âge. Pendant que ses camarades se transforment, l’enfant sous inhibiteurs d’hormones garde son allure enfantine. Vous le privez d’une vie sociale normale. Ça n’est en aucun cas un acte neutre. »
Les inhibiteurs de puberté ne sont pas homologués pour soigner la dysphorie de genre, ni aux États-Unis dans le classement de la Food and Drug Administration, ni au Royaume-Uni où le National Institute for Care and Health Excellence (NICE), en 2020, après examen des études parues sur le sujet, concluait qu’il n’existait pas de preuves suffisantes en faveur d’un traitement hormonal de la dysphorie de genre. On manque de recul pour juger des bénéfices/risques de cet usage détourné[2] des inhibiteurs de puberté sur des enfants transgenres. Et les effets secondaires observés jusqu’à présent sont alarmants : altération du développement cérébral et du quotient intellectuel, ostéoporose, chute de la libido, stérilité lorsque le traitement est initié très jeune.
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Lost in trans-nation
Il n’est pas jusqu’aux médecins du genre, parmi les plus renommés, qui ne s’inquiètent de l’intégrisme trans-affirmatif. Parmi eux, le Dr Marci Bowers, elle-même transfemme, gynécologue obstétricienne spécialiste de la vaginoplastie (elle en a pratiqué plus de deux-mille) et mondialement réputée. C’est elle qui opéra la célèbre Jazz Jennings (le petit garçon américain qui se sentait fille et dont la transition a été feuilletonnée en temps réel à la télévision). Le docteur Bowers n’a pas caché les complications auxquelles elle s’est trouvée confrontée lors de la construction du vagin de Jazz Jennings, du fait que sa patiente, mise sous bloqueurs de puberté à un jeune âge, était équipée d’organes génitaux succints offrant peu de tissus. Le Dr Bowers recommande la prudence dans l’administration de bloqueurs de puberté du fait qu’ils hypothèquent plaisir sexuel et fertilité à l’âge adulte.
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Erica Anderson, elle aussi transfemme, est une célèbre psychologue californienne pro-affirmation de genre, et Laura Edwards-Leeper est la co-fondatrice de la première clinique du genre américaine à Boston (USA). Fin novembre 2021, Anderson et Edwards-Leeper cosignaient un article dans le Washington Post. Elles exprimaient leur inquiétude devant le nombre exponentiel de jeunes filles orientées vers l’hormonothérapie avant même d’avoir eu accès à une prise en charge psychologique correcte. « L’afflux de patients auprès des psychologues et des cliniques du genre, combiné à un climat politique qui envisage les soins de chaque individu comme un test de la tolérance de la société, emmène les praticiens sur une pente glissante et dangereuse. (…) La pression des activistes au sein du personnel médical et des départements de psychologie qui, de conserve avec certaines organisations LGBT, réduisent au silence les détransitionneurs et sabotent toute discussion sur ce qui se joue dans ce domaine, est inadmissible. (…) cela sème le doute quant à l’honnêteté de notre profession et notre dévouement à aider les trans. »[3]
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[1] Orwell ou l’horreur de la politique, Simon Leys, p32
[2] Les bloqueurs de puberté sont indiqués dans les cas rares de puberté précoce, mais ne sont en aucun cas destinés aux jeunes dont le développement physiologique est normal. La prescription de bloqueurs de puberté aux enfants transgenres est un usage détourné et expérimental des hormones synthétiques.
[3] The Washington Post, « The mental health establishment is failing trans kids. Gender exploratory therapy is a key step. Why aren’t therapists providing it ?”, Laura Edwards-Leeper, Erica Anderson, 24 novembre 2021
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