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Brûlez Sylvie Germain! Elle a offensé les imbéciles

Victimes des pédagogistes, nos bacheliers affichent leur désespoir sur les réseaux sociaux


Brûlez Sylvie Germain! Elle a offensé les imbéciles
L'écrivain Sylvie Germain photohraphiée en 2019 © ISOPIX/SIPA

Les lycéens qui viennent de passer l’épreuve anticipée de français s’indignent sur les réseaux sociaux, ces piloris modernes : Sylvie Germain, immense romancière et auteur du texte proposé en commentaire, utilise des mots vraiment trop difficiles ! Menaces de mort et de viol se succèdent sur Twitter. Quand les crétins ont la parole, on peut s’attendre à tout.


Voici le sujet proposé à l’examen — l’Objet d’étude, étudié durant l’année, était « Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle ». C’est large… Un mauvais génie a suggéré à un enseignant, dont la proposition a été retenue par l’Inspection générale, de donner un court extrait de Jours de colère, un roman publié en 1989 — autant dire au Moyen-Âge. 

« Situé dans un passé indéterminé, le roman de Sylvie Germain Jours de colère prend place dans les forêts du Morvan. Le texte suivant est extrait d’un chapitre intitulé « Les frères ». Il présente les neuf fils d’Ephraïm Mauperthuis et de Reinette-la-Grasse. »

« Ils étaient hommes des forêts. Et les forêts les avaient faits à leur image. À leur puissance, leur solitude, leur dureté. Dureté puisée dans celle de leur sol commun, ce socle de granit d’un rose tendre vieux de millions de siècles, bruissant de sources, troué d’étangs, partout saillant d’entre les herbes, les fougères et les ronces. Un même chant les habitait, hommes et arbres. Un chant depuis toujours confronté au silence, à la roche. Un chant sans mélodie. Un chant brutal, heurté comme les saisons, – des étés écrasants de chaleur, de longs hivers pétrifiés sous la neige. Un chant fait de cris, de clameurs, de résonances et de stridences. Un chant qui scandait autant leurs joies que leurs colères.

Car tout en eux prenait des accents de colère, même l’amour. Ils avaient été élevés davantage parmi les arbres que parmi les hommes, ils s’étaient nourris depuis l’enfance des fruits, des végétaux et des baies sauvages qui poussent dans les sous-bois et de la chair des bêtes qui gîtent dans les forêts ; ils connaissaient tous les chemins que dessinent au ciel les étoiles et tous les sentiers qui sinuent entre les arbres, les ronciers et les taillis et dans l’ombre desquels se glissent les renards, les chats sauvages et les chevreuils, et les venelles que frayent les sangliers. Des venelles tracées à ras de terre entre les herbes et les épines en parallèle à la Voie lactée, comme en miroir. Comme en écho aussi à la route qui conduisait les pèlerins de Vézelay vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Ils connaissaient tous les passages séculaires creusés par les bêtes, les hommes et les étoiles.

La maison où ils étaient nés s’était montrée très vite bien trop étroite pour pouvoir les abriter tous, et trop pauvre surtout pour pouvoir les nourrir. Ils étaient les fils d’Ephraïm Mauperthuis et de Reinette-la-Grasse. »

Suivaient deux notes censées aider à la compréhension, sur le sens de « venelles », et de « séculaires ». Le ministère, qui ne peut s’empêcher de prendre au sérieux un examen totalement dévalué sans tenir compte du fait que la majorité des lycéens sont d’arrogants ignorants, aurait dû penser que « bruissant », « saillant », « pétrifiés », « stridences », « gîtent », « sinuent », « frayent », posaient eux aussi des problèmes insolubles à une génération qui trois jours auparavant s’était insurgée contre l’usage du mot « ludique » dans le sujet de Philo du Bac Pro — voir ce que j’ai pu en dire à l’Heure des pros. En fait, tout pose problème à des ilotes habitués à s’exprimer par onomatopées simiesques, et dont l’usage du français se limite à commander des pizzas surgelées à Uber Eats, qu’ils consommeront en triturant leur télécommande au fond de leur canapé, devant une série qui leur renverra d’eux-mêmes une image gratifiante — pendant que leurs parents, démissionnaires, s’engueuleront dans la cuisine.

Les messages d’insultes ont commencé dès la sortie. Frédéric Sirgant, sur Boulevard Voltaire, en cite quelques-uns — en fait, il y en a plus de 3000, avec menaces de viol et de mort. D’aucuns suggèrent à Sylvie Germain, que vous ne connaissez peut-être pas (lisez donc Le Livre des nuits) mais qui est certainement l’un des écrivains contemporains majeurs (elle m’en voudrait de l’appeler « écrivaine »), de porter plainte, les menaces étant, comme d’habitude, courageusement anonymes. Non seulement cette génération est intellectuellement nulle, mais elle n’a pas de tripes.

Et sa colère ressemble aux insultes que s’échangent les conducteurs ivres. Le hurlement remplace la phrase, l’imprécation se substitue au raisonnement.

À noter que le Café pédagogique, organe des pédagos qui ont le pouvoir dans l’Educ-Nat depuis trois décennies, déplore le classicisme de ce texte de Sylvie Germain. Trop scolaire, disent-ils, « morceau de bravoure rhétorique ». Pas assez branché sur l’actualité et les préoccupations des élèves…

C’est dur de voir tant de mépris pour les élèves chez certains collègues…

Cette dégradation, commencée grâce à la Loi Jospin (1989) qui imprudemment donnait la parole à des gosses qui braient, cancanent, blatèrent mais ne parlent pas, s’est accentuée très vite. En 2005, Sylvie Germain recevait le Goncourt des lycéens pour Magnus. Quinze ans plus tard, la langue qu’elle écrit (faut-il redire que le français est une langue écrite même à l’oral ?) est incompréhensible par des lycéens standard de première — bacheliers l’année prochaine, licenciés dans quatre ans, futurs chômeurs récipiendaires du SMIC universel que promet la NUPES, jamais en retard d’une démagogie. « Si je finis à pôle emploi à cause de toi lvdm t’s pas prête pour ce que je vais te faire », écrit à Sylvie Germain l’un des intellectuels de Twitter. Mais tu vas y pointer, à Pôle Emploi, triple buse ! Tu es déjà empapaouté jusqu’à la garde, et tu es si bête que tu ne t’en aperçois pas. « Tu veux pas les chier toi-même les 9 gosses tu viens de ruiner mon avenir » écrit galamment un autre — mais tu n’as aucun avenir. Tu n’intéresses personne — sauf en tant que con / sommateur de gadgets électroniques.

Je ne généralise pas. Ces messages désobligeants émanent seulement de ces 90% de lycéens que l’on a laissés en jachère depuis le cours préparatoire. Pendant ce temps, 10% d’enfants d’oligarques ont étudié soigneusement dans des établissements sélectionnés, et ne passent pas forcément leur temps à insulter sur Twitter des écrivains mondialement connus. L’École est à deux vitesses depuis vilaine lurette, et ceux de mes collègues qui, sous prétexte du « niveau », de la culture familiale ou communautaire ou de « l’habitus », comme dirait Bourdieu, se sont résignés à faire des cours peu exigeants et à mettre de bonnes notes devraient, de temps en temps, se regarder dans la glace — s’ils l’osent.
Rassurons quand même les imbéciles. Ils auront des notes correctes, car le logiciel Santorin, sur lequel les copies sont numérisées et corrigées, peut rajouter des points dans le dos des correcteurs, comme je le rappelais la semaine dernière, de façon à lisser et à préparer les 98% de réussite au bac requis par le ministère, les parents, les enseignants, et j’en passe. Simplement, les 10% de privilégiés qui ont tété la culture au sein de leur mère et fréquenté les bons établissements leur passeront devant, systématiquement, partout. C’est cela, la Fabrique du crétin : les différences sociales, qui naissaient autrefois du mérite, sont essentialisées — et il n’y a plus rien à faire, tant qu’on ne change pas totalement de logiciel, dès la maternelle. Mais ce n’est pas avec les propositions démagogiques de Mélenchon et de ses sbires que l’on y parviendra : la politique de la misère témoigne juste de la misère de la politique.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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