Le poème du dimanche
Arrivé à une certaine heure de la nuit, la conclusion est toujours la même. L’insomnie est une voiture américaine de l’année de votre naissance. Mettons une Thunderbird de 1964. Sur l’autoradio passe un air de Doo-wop de la même année ou à peu près, par exemple Donnie and the dreamers qui chantent un amour adolescent. Vous ne savez plus et vous n’avez jamais su en fait si la Thunderbird pourrait redémarrer et quitter ce coin perdu dans les ténèbres. Il y a une fille qui dort sur la banquette arrière.
Vous vous souvenez que Sylvia Plath s’est suicidée l’année dernière, à trente ans. Vous vous souvenez qu’il faut faire très attention aux filles qui dorment sur les banquettes arrière. Vous vous souvenez qu’il faut les embrasser. Sylvia Plath l’écrivait déjà dans son autobiographie désespérée, La cloche de détresse (Gallimard, L’Imaginaire): « Embrasse-moi et tu verras comme je suis importante. »
Arrivé à une certaine heure de la nuit, la conclusion est toujours la même. Vous n’avez pas réussi à sauver cette petite sœur américaine dans sa nuit trouée par les électrochocs, en ces années où l’on n’avait pas encore inventé les antidépresseurs. Il ne vous reste qu’à lire et relire ses poèmes qui ont la transparence solide du cristal, et la délicatesse des verres de Murano.
C’est déjà ça.
MOUTONS DANS LA BRUME
Les collines descendent dans la blancheur
Les gens comme des étoiles
Me regardent attristés : je les déçois.
Le train laisse une trace de son souffle.
O lent
Cheval couleur de rouille,
Sabots, tintement désolé–
Tout le matin depuis ce
Matin sombre,
Fleur ignorée.
Mes os renferment un silence, les champs font
Au loin mon cœur fondre.
Ils menacent de me conduire à un ciel
Sans étoiles ni père, une eau noire.
In Ariel (Poésie/Gallimard, traduction Valérie Rouzeau)
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