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Pour Sylvain Tesson, notre identité vagabonde au risque de se perdre

L’écrivain déplore l’état civilisationnel de la France et de l’Occident


Pour Sylvain Tesson, notre identité vagabonde au risque de se perdre
Sylvain Tesson © Hannah Assouline

Sur France Inter, mercredi, l’auteur de L’énergie vagabonde a déploré l’état de l’Occident, et a glissé des critiques bien senties sur l’état de notre pays, fustigeant notamment la fermeture des librairies.


L’écrivain Sylvain Tesson, auteur notamment de L’énergie vagabonde ou Un été avec
Homère, était au Haut-Karabakh il y a une dizaine de jours pour réaliser un reportage qui vient de paraitre dans le Figaro magazine. Le papier est assorti d’une tribune signée par 120 personnalités.

Sur France Inter, mercredi, il a expliqué qu’il soutenait la cause arménienne.

Sylvain Tesson n’oublie pas l’Arménie, cette échauguette de l’Occident

Sylvain Tesson est-il un auteur “engagé” ? « Mon cœur me porte vers l’Arménie, pour des raisons qui tiennent à mes affections culturelles, spirituelles, intérieures », a-t-il déclaré. Il a rappelé les liens profonds qui unissent traditionnellement la France et l’Arménie : « La France avait un lien d’amitié profonde avec l’Arménie – cette relation n’est pas complètement morte mais elle est en hibernation – et j’y suis parti pour apporter la preuve que nous ne les oublions pas totalement. »

Autre point qui pousse l’écrivain à prendre parti pour les Arméniens : leur appartenance à la chrétienté. Ce que la France, qui définit désormais son identité par la laïcité, a bien du mal à comprendre…

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S’il chérit ce joyau qu’est notre idéal laïc, Sylvain Tesson ne veut pas le voir saper notre identité, nos racines. Il dit: « Malheureusement, la France n’a plus tellement de roman, de récit, de grande idée à offrir à sa société [autre que] la laïcité. Quand cela devient l’oubli absolu de son origine et de ses racines, c’est tout à fait terrible. La France fut un royaume chrétien et on ne peut rien comprendre à son histoire, son architecture, son art, ses paysages et même sa démocratie si l’on fait l’économie de penser que nous avons été Chrétiens. Et pour cette raison-là, nous avons un peu négligé ce qui s’est passé là-bas [en Arménie NDLR]. On prend ça pour des confins, le début de l’Orient, mais non, c’est une échauguette de l’Occident qui fut chrétien et qui est en train de tomber. » Le déracinement et le sentiment de ne rien devoir au passé, cette dimension de la post-modernité, l’écrivain la rejette : « Je n’aime pas l’idée que nous ne venons plus de rien d’autre que de nous-mêmes, quand nous considérons que nous ne devons plus rien au passé et quand nous croyons que tout se vaut. »

L’Histoire n’est pas finie

Sylvain Tesson alerte sur la menace que représente la Turquie d’Erdogan. Il aimerait que les pays occidentaux reçoivent l’avertissement des Arméniens : « Ce qui se passe devrait nous alerter, ‘il faut que vous compreniez qu’il se passe quelque chose’, disent les Arméniens. Il y a un énorme ordre turc alimenté par le carburant de l’islamisme, je sais bien que ça n’a rien à voir avec l’islam, mais il n’en est pas non plus complètement distinguable. »

Le combat des Arméniens du Haut-Karabakh, l’auteur de L’énergie vagabonde a donc pu le côtoyer de près pendant son reportage : « J’ai vu un peuple mobilisé, un peuple en larmes. Des femmes, des hommes, des vieillards qui reprennent des vieux fusils employés en 1994. » Une dimension particulière de ce combat est apparue à Sylvain Tesson, les Arméniens ne se battent pas pour un confort ou des intérêts économiques, mais bien pour leur survie. « Ça m’a ému, de voir ce peuple, pour qui il ne s’agit pas d’une guerre de territoires, de défendre un potager. Ce qu’ils défendaient, c’était leur vie sur Terre. Ce peuple-là a encore le souvenir du génocide de 1915, orchestré par le voisin turc qui a essayé de les rayer de la carte. Ils savent que ce qui se jouait là n’est pas un conflit territorial », analyse Sylvain Tesson.

Bercé par l’idée de la fin de l’Histoire, théorisée dans les années 1990 par l’américain Francis Fukuyama, l’Occident serait insensible à cette menace sur sa civilisation. « On a expliqué à ma génération, dans les années 90, que notre avenir était une mondialisation cyber mercantile, la fin de l’Histoire. Internet est arrivé, tous les hommes étaient reliés. C’était la fraternité qui allait commencer. Et puis non tout à coup l’Histoire est revenue. »

Rouvrir les librairies, pas une petite récrimination de bobo

Interrogé par le duo Demorand-Salamé, l’écrivain voyageur a été invité à réagir à la fermeture des librairies. Il y voit une atteinte à l’identité culturelle française : « C’est une immense erreur de communication, à mon avis, d’avoir fermé les librairies, pour une raison très simple: la France s’est toujours positionnée en championne des Arts et des Lettres, c’est même notre exception culturelle. » Avant de défendre les livres comme un formidable vecteur d’égalité: « Il ne s’agit pas là d’une petite récrimination de bobo élitiste installé dans sa tour d’ivoire qui voudrait que tout le monde se mette à lire. Je vous rappelle que le livre est un miracle de démocratie. Pour le prix d’un paquet de cigarettes ou de deux paquets de cigarettes, on peut avoir toute la poésie chinoise, toutes les œuvres complètes de Colette pour la sensualité, ou de Stevenson pour l’aventure. C’est fantastique. Ça s’appelle l’imprimerie de Gutenberg: on vous offre la clé d’un voyage intérieur et spirituel pour une somme modique (…) c’est quand même mieux que de mettre des rubans adhésifs [pour empêcher l’achat de livres dans les supermarchés NDLR].»

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Pour Sylvain Tesson enfin, le confinement s’apparente à une atteinte à la nature même de l’Homme, qui est mobile par essence : « Je m’interroge beaucoup (…) nous faisons grand cas de nos privations, ce qui est normal. Je crois que nous avons une certaine angoisse quand nous voyons se restreindre notre capacité d’aller et venir (…) c’est la nature de l’être humain qui est un bipède », a-t-il simplement rappelé. Sylvain Tesson constate que les Français ne sont pas autant épris de liberté que ce que l’on veut bien dire. Le concept d’égalité, si cher aux Français (trop peut-être?), les pousse à remettre en cause leurs libertés : « Il y a quelque chose, pour les gens, qui est presque supérieur à la liberté, et qui est l’égalité. Pas l’équité et cette idée de justice impartiale, mais cette idée que du moment que tout le monde souffre alors on accepte d’être privés de nos libertés. » Il n’y a pas à dire, Sylvain Tesson est décidément notre phare anti-moderne. Avec ses mots justes, il éclaire d’une lumière crue les problèmes auxquels notre civilisation est actuellement confrontée.

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