La radio publique plus woke que jamais.
Sylvain Bourmeau est journaliste. Son parcours professionnel exemplaire – journaliste à Libé, directeur-adjoint des Inrocks, bref passage à Mediapart au moment de son lancement, retour à Libé en tant que directeur-adjoint, producteur et animateur de l’émission “La Suite dans les idées” sur France Culture – lui a permis d’afficher à maintes occasions des engagements qu’il qualifie lui-même d’humanistes.
Mur du son progressiste
Mitterrandien, bourdieusien, plenelien, bourmalien (car il s’estime beaucoup), ses thèmes de prédilection sont, c’est original, le fascisme et le racisme. Ses bêtes noires s’appellent Renaud Camus, Jean-Claude Michéa, Richard Millet, Alain Finkielkraut et Pierre Jourde. En 2013, ce dernier raillait « le camarade Bourmov, commissaire politique aux affaires culturelles de Libé », pour sa conception simpliste du monde : il y aurait d’un côté les progressistes, de l’autre les réacs. Depuis, le camarade Bourmov a affiné sa pensée. Il considère aujourd’hui que le monde est composé de deux catégories d’individus distinctes : les gentils progressistes et les méchants fascistes.
Progressistes, les émissions hebdomadaires de M. Bourmeau sur France Culture le sont indéniablement. On y prend régulièrement la défense des « minorités ». On y promeut l’éco-féminisme, les thèses décolonialistes ou celles du GIEC sur le climat. On y aborde la question de l’immigration avec un discours qui ne laisse aucun doute sur ce qu’il faut en penser : « Si, pour le climat, les travaux du GIEC ont joué un rôle fondamental dans la marginalisation du climatoscepticisme (sic), il n’en va hélas pas de même à propos du GIEM (Groupe international d’experts sur les migrations) et des migrations, et ce, en dépit d’un large consensus scientifique (resic). Il n’est qu’à regarder l’inanité du débat autour de l’ignominieuse énième loi adoptée en fin d’année au parlement français pour s’en rendre compte (et sic de der). » Plusieurs épisodes, consacrés au Rassemblement national, ont donné la parole aux plus éminents castors universitaires ou médiatiques. Tous sont d’accord pour dire que « le racisme se trouve au fondement du vote des électeurs lepénistes » et que ces derniers sont des « fachos ».
Le jeudi 24 octobre, M. Bourmeau a passé le mur du son progressiste pour atteindre la stratosphère wokiste et se positionner sur l’orbite racialiste – Dieu seul sait quand il aura fini de tourner. Ce jour-là, le journaliste a en effet reçu dans son émission une docteure en sociologie du CNRS (1) et une sociologue de l’Université de Lausanne pour leur essai intitulé… La domination blanche (2) – et une question lui brûle les lèvres : « Comment comprendre qu’en France, en 2024, les Blancs sont mieux traités que les Noirs ? » L’introduction qui suit relève du délire ; si des enseignants l’ont écoutée, leur sang a dû bouillir : « En France, en 2024, un élève dont la peau est noire ne fait pas de l’école la même expérience qu’un camarade dont la peau est blanche », affirme M. Bourmeau avant d’affabuler en racontant l’histoire d’un « élève à la peau noire » qui « peut s’entendre dire par un enseignant lorsqu’il a oublié son manuel qu’il est en quelque sorte un sans-papier – allez, c’est une boutade, un clin d’œil à la leçon sur l’immigration au programme ce jour-là… – ; et, un autre jour, il peut s’entendre dire, parce qu’il ne travaille pas assez, qu’il aurait besoin d’être fouetté ». Le journaliste a oublié les menaces de marquage au fer rouge ou de déportation dans les lointaines colonies. Plaisanterie mise à part, voilà le genre d’insanités qu’est capable d’inventer ce commissaire politique de la radio publique pour illustrer ce que lui et ses acolytes appellent le « racisme systémique ». Espérons que, parmi les enseignants ayant entendu cette infamie, nombreux sont ceux qui auront envoyé un message à la présidente de Radio France pour réclamer des explications et les excuses du journaliste qui les a diffamés.
France Culture, le privilège woke
Le reste de l’émission sera sans surprise. Résumé : il existe un racisme systémique en France et « on ne peut pas nier que les Blancs ont des privilèges » ; le racisme de la police a éclaté au grand jour lors de l’affaire Adama Traoré ; Virginie Despentes a magnifiquement mis en évidence les privilèges des Blanches pendant le confinement dans une lettre lue par Augustin Trapenard sur France Inter ; malheureusement, en France, la dénégation de la domination blanche est grande ; etc. Déterminées, semble-t-il, à rejoindre leur hôte sur orbite, les deux sociologues pensent par ailleurs qu’il y a des privilèges qui devraient « être complètement abolis, par exemple plus personne ne devrait prendre un jet privé pour faire un trajet Paris-Bordeaux ». Où il est confirmé que l’écolo-wokisme existe et qu’il est un totalitarisme.
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Sylvain Bourmeau ne rate jamais une occasion d’accabler les intellectuels ou les écrivains « d’extrême droite » qui réfutent les bienfaits d’une immigration illimitée. Tous les moyens, même les plus grossiers et mensongers, sont bons. « Cette domination blanche peut prendre des formes extraordinairement violentes qui conduisent à des attentats qui ont eu lieu en Norvège, en Nouvelle-Zélande, en Allemagne, aux États-Unis. […] On a trouvé parmi les livres que lisaient les auteurs de ces attentats, des textes de théoriciens français », explique-t-il sournoisement en tendant le micro à la « chercheuse » du CNRS qui embraie : « Oui, en effet, on trouve régulièrement des références à Renaud Camus, cet auteur d’extrême droite qui théorise le premier la thèse du Grand remplacement […] thèse qui postule qu’il y aurait une espèce de forme de complot général où des populations non-blanches vont émigrer par vagues extrêmement importantes et submerger les populations occidentales. » Évidemment, le camarade Bourmov et ses invitées n’ont pas lu une seule ligne des écrits de Renaud Camus et se contentent de répéter les assertions très orientées de l’encyclopédie Wikipédia ou de Mediapart à son sujet.
Passons rapidement sur l’accusation ridicule d’incitation à la violence concernant un homme qui, confronté, comme nous tous, à la réalité de la nocence – les nuisances sous toutes leurs formes, de la délinquance au terrorisme, du bruit des voisins aux tirs à la Kalachnikov, des éoliennes à la plastification des océans, des rodéos urbains au crime organisé en passant par toutes les “incivilités” quotidiennes – ne lui oppose pour toute arme que l’in-nocence, c’est-à-dire l’essence même de la civilisation. « La civilisation n’est pas la source de tous les maux mais, au contraire, la suite désespérée et tâtonnante, parfois victorieuse un moment mais perpétuellement remise en cause, des efforts des sociétés diverses pour endiguer et tenir sous contrôle la nocence, que celle-ci s’exerce contre les hommes, contre les femmes, contre les enfants, contre la nature, contre les biens, contre les races, contre les espèces, contre la biodiversité, contre l’air, contre l’eau, contre l’humanité de l’homme et la beauté du monde », écrit-il sur son compte Facebook (9 février 2020) avant de conclure : « La nocence est une réalité irrévocable du monde. Il ne s’agit pas de la nier mais de la combattre et de la circonscrire, et cela d’abord en soi, pour chacun de nous. »
Renaud Camus contre la matière humaine indifférenciée
Renaud Camus n’évoque jamais l’idée d’un « complot général » quand il analyse le grand remplacement, qu’il définit comme la substitution visible d’un peuple par un autre historiquement, culturellement et religieusement radicalement différent, avec les conséquences qu’on sait sur la vie des autochtones. Par ailleurs, ce grand remplacement, qui n’est pas une théorie mais un fait observable, n’est plus, selon lui, qu’une petite part d’une nouvelle forme de totalitarisme qu’il nomme le « remplacisme global ». La dépossession (de la langue, des sexes, des races, de l’histoire singulière des pays et des civilisations), la déculturation (l’effondrement de la transmission, l’enseignement de l’oubli, la cancel culture) et la production industrielle de l’homme remplaçable aboutissent inéluctablement à la transformation de l’humanité en ce qu’il appelle la MHI (Matière Humaine Indifférenciée), un agrégat d’êtres déracinés, anhistoriques, interchangeables, utilisables, déplaçables au gré des besoins et des intérêts d’une oligarchie mondialisée, davosienne et globale, dans un monde effrayant combinant les visions prédictives d’Orwell et de Huxley.
Tout va bien se passer …
Curieusement, M. Bourmeau et ses invitées ont oublié de citer quelques autres personnalités soutenant les « thèses conspirationnistes » de Renaud Camus et adhérant allègrement à l’idée d’un grand remplacement des peuples français et européens. Sur Al-Jazeera, le 13 mai 2017, Rokhaya Diallo affirme que les Français doivent s’habituer au fait que « la France n’est plus un pays chrétien et blanc ». Quelque temps auparavant, sur le plateau de Ce soir ou jamais, la romancière franco-camerounaise Léonora Miano prophétisait déjà la « disparition du monde connu » et prêchait la bonne parole remplaciste : « N’ayez pas peur d’être minoritaire culturellement. N’ayez pas peur de quelque chose qui va se passer. Parce que ça va se passer. Ça s’appelle une mutation. L’Europe va muter. […] Ils [les Subsahariens] vont venir, et ils vont venir avec leur bagage identitaire. […] C’est ça qui va se passer, et c’est déjà en train de se passer. N’ayez pas peur. » Pour son dernier livre, L’opposé de la blancheur, réflexions sur le problème blanc (sic), Mme Miano a été conviée sur France Culture où elle a pu déblatérer pendant plus d’une demi-heure sur une supposée « blanchité dominante et toxique » sans rencontrer de résistance, devant deux journalistes wokisés jusqu’aux oreilles exprimant leurs propres difficultés à se « déconstruire » en tant que « personnes blanches » (Les Midis de Culture, 5 octobre 2023). Le 3 mai 2016, toujours sur France Culture, un homme décrivait très exactement ce qui était en cours et ce qui allait advenir. Après que la journaliste Amélie Perrier eut décrit « des migrations qui deviennent énormes et incontournables », cet homme entérina l’idée d’un phénomène irrépressible : « Oui, disons qu’on assiste à un processus de longue durée, un processus de repeuplement du monde qui va s’intensifier dans les années qui viennent. […] Les pays du Nord vont continuer d’accuser une tendance au vieillissement. Dans 50 ans à peu près, une grande partie des habitants de la planète viendra de l’Afrique et de l’Asie. Tout cela va provoquer des recompositions majeures avec lesquelles il faudra vivre. » Cet homme, qui évoquait un « processus de repeuplement du monde » présentant de fortes similitudes avec les remplacements de populations décrits par Renaud Camus, n’était pas Renaud Camus mais… l’historien camerounais préféré des décolonialistes et des mélenchonistes, Achille Mbembe (3). Jean-Luc Mélenchon, dans un tweet du 21 septembre 2021, implorera les Français d’accepter joyeusement ce bouleversement incontestable et, pour certains, désirable : « Vous ne vous baladez pas dans la rue ? Vous ne voyez pas ce qu’est le peuple français ? Le peuple français a commencé une créolisation. Il ne faut pas en avoir peur. Il faut s’en réjouir. » Depuis, le mouvement mélenchoniste a clarifié ses objectifs en accueillant en son sein Rima Hassan : il n’est plus seulement question d’offrir l’hospitalité à de nouveaux arrivants dans le but de « métisser » ou de « créoliser » la population mais bien de modifier en profondeur les mœurs de la société française en lui imposant celles d’une imposante immigration musulmane n’ayant nullement l’intention d’abandonner ou d’adoucir les préceptes coraniques les plus rétrogrades, la charia en premier.
Sylvain Bourmeau, confit dans les certitudes gauchisantes et wokes d’une petite mais très influente caste politico-médiatico-universitaire, est dévoré comme elle par la haine de soi et une répugnance pour son propre pays, son histoire et son peuple. Le voici prêt à discuter de sa couleur de peau, pour la renier, au prétexte qu’elle serait la marque du démon. Depuis plus de quarante ans, cette belle âme se ripoline la conscience à grands coups de pinceaux antiracistes. Il ne pouvait pas ne pas prendre en marche le train des thèses racialistes. Présenté comme une « théorie critique de la race », un nouvel antiracisme a vu le jour, un antiracisme raciste encourageant le ressentiment, la haine, les relations conflictuelles. Dans un pays comme la France où le racisme était devenu résiduel, le racialisme, après avoir ravivé d’anciennes rancœurs, en a créé de nouvelles et tente de tuer tout espoir d’apaisement. Une société multiethnique, communautariste, « racialisée » et victimaire est vouée à la violence. Mais M. Bourmeau n’en a cure. M. Bourmeau arbore virtuellement et à tout jamais une petite main jaune sur le revers de son veston. Il se croit encore en 1984, date de la création de SOS Racisme. Date des débuts de M. Bourmeau sur la scène du petit théâtre de l’antiracisme. Second rôle médiatique au jeu très limité, il n’en sortira plus. La mise en scène est immuable ; le texte s’est vu gratifié au fil des ans d’ajouts racialistes et décolonialistes ; la voix aigre-douce du comédien s’est acidifiée. Mais, au fond, rien n’a changé. M. Bourmeau, alias la Castafiore de l’antiracisme, entonne toujours le même air – « Ah ! Je ris de me voir si vertueux en ce miroir » – et n’imagine pas un seul instant qu’il est en vérité le chantre du désastre…
(1) Judith Waintraub consacre, dans Le Figaro du 26 octobre, un article à cette institution, ce « paradis des sciences “molles” [qui nous] coûte cher, très cher ». « En sociologie, le militantisme a vite fait de remplacer la rigueur scientifique, surtout quand la répartition des postes, l’évaluation et les circuits de financement des projets sont régis selon un système volontairement opaque où règne l’entre-soi », écrit-elle avant de rapporter les propos édifiants de l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler : « Le champ de la recherche dans ce domaine est dominé par le courant décolonialiste. Quand on ne s’en réclame pas, on n’avance pas en matière de carrière, trouver des financements est très difficile. » Et on n’est pas invité dans l’émission du camarade Bourmov.
(2) Solène Brun et Claire Cosquer, La domination blanche, 2024, Éditions Textuel. Dispensable, au même titre que les ouvrages de Lilian Thuram, Rokhaya Diallo, Miano Léonora et autres Robin Di Angelo.
(3) André Perrin rappelle cet entretien dans son excellent Journal d’un indigné (Éditions de L’Artilleur). Il note ironiquement que « personne [n’ayant] dénoncé le caractère “nauséabond” des propos d’Amélie Perrier et d’Achille Mbembe, on peut donc en conclure qu’ils n’ont rien à voir avec la sinistre théorie du “Grand Remplacement” ».
P.S : Bruno Lafourcade brosse de Sylvain Bourmeau un portrait réjouissant et saisissant de vérité dans Les nouveaux vertueux, éditions Jean-Dézert. Nous en conseillons très vivement la lecture.